Comment est née TAT Productions ? Et quel a été votre parcours avant de vous lancer dans l’animation ?
Jean-François Tosti : TAT a vu le jour en 2000, fondée par David Alaux, mon frère Éric et moi. Nous étions trois passionnés d’animation depuis l’enfance. Nous avions commencé par réaliser de petits films amateurs dès l’âge de 11-12 ans, avant de suivre des parcours universitaires scientifiques sans rapport avec notre passion. L’animation, c’était notre domaine d’autodidactes. Après quelques années dans nos secteurs respectifs, l’appel de cette passion s’est fait plus fort. La création de notre société visait à développer nos propres projets créatifs. Nous avions à l’époque aucun réseau, aucune notoriété. Le premier pari fut un court métrage en stop motion, Le Vœu, avec cette idée simple : si l’aventure échouait, il serait temps de passer à autre chose. Notre grande inspiration restait Ray Harryhausen, déclencheur de notre amour pour le cinéma d’animation.
C’est l’époque où, pour la première fois, vingt ans avant la série Astérix pour Netflix, vous rencontrez Alain Chabat. Comment cette rencontre s’est-elle produite ?
C’est une histoire presque incroyable. En 2001, alors que notre société balbutiait encore, nous avons été informés qu’Alain Chabat, en pleine préparation d’Astérix & Obélix : Mission Cléopâtre, cherchait un court métrage d’animation français à projeter en première partie de son film. Sans grandes illusions, j’ai envoyé une VHS de notre court. Quelques semaines plus tard, stupeur : il avait choisi notre film. Le Vœu fut donc projeté dans la moitié des salles françaises. La rencontre avec Alain Chabat s’est faite lors d’une avant-première à Toulouse – une expérience surréaliste pour des inconnus comme nous. Ce fut comme un prélude à ce qui allait suivre vingt ans plus tard.

De quelle manière le projet de série Astérix avec Netflix vous est-il parvenu deux décennies plus tard ?
En 2021, Netflix nous a contactés avec une proposition inattendue. Nous ne faisions pas de prestations, mais la plateforme nous a demandé si nous pouvions accepter de travailler sur une série animée Astérix, réalisée par Alain Chabat. La réponse (affirmative) fut immédiate, mais il a fallu passer par un processus de sélection où nous figurions parmi quatre studios repérés. Cette sélection comportait deux volets : des tests techniques et des rencontres avec les équipes Netflix et Alain Chabat. Lors de leur visite au studio, Alain Chabat s’est souvenu de l’histoire du court métrage – une anecdote sympathique mais qui n’a pas pesé dans la décision finale. Le choix s’est finalement porté sur TAT Productions. Selon leurs retours, notre avantage décisif ne tenait pas tant à la qualité technique des tests qu’à notre capacité à proposer quelque chose de drôle, un critère essentiel pour Alain Chabat. L’atmosphère et l’esprit d’équipe du studio ont également fait la différence.
Justement, qu’est-ce qui caractérise l’ADN de TAT ?
Malgré notre croissance, l’esprit familial reste au cœur de notre identité. L’équation est simple : des collaborateurs épanouis dans leur environnement, fiers des projets sur lesquels ils travaillent, réussissent mieux. L’attention portée au bien-être se traduit par des espaces de travail agréables et la lutte contre toute pression excessive ou horaires déraisonnables. Cette culture devient plus difficile à maintenir avec l’expansion de nos studios – aujourd’hui environ 300 personnes en comptant les intermittents – mais demeure une priorité absolue. L’équipe se compose d’une quarantaine de personnes aux fonctions techniques et de supervision, ainsi que de quelque 250 graphistes directement impliqués dans la création des œuvres.
Comment le projet Astérix a-t-il marqué un tournant dans votre façon de travailler ?
C’était une première : nous allions travailler en prestation pure. Jusqu’alors, notre ADN associait production et création de nos propres contenus. Avec Astérix, l’équation changeait radicalement : nous exercerions moins de responsabilités sur le contrôle artistique, ou la maîtrise du budget, du planning ou des choix créatifs. C’était presque un paradoxe : Netflix nous choisissait précisément pour notre statut de studio de production-création et notre sensibilité artistique, mais pour un travail où ces compétences n’auraient pas à s’exprimer directement. Cette situation inhabituelle présentait pourtant un avantage rassurant pour tous : notre maîtrise complète de la chaîne de production, du concept initial à la livraison finale était clairement un atout dans la conception de la série.
Quels ont été les principaux enjeux rencontrés durant la production de cette mini-série ?
Le défi principal était de réussir à concilier la créativité d’Alain Chabat et les contraintes structurelles inhérentes à l’animation 3D. Les premiers temps furent compliqués : habitué au tournage en prises de vues réelles, Alain Chabat souhaitait pouvoir modifier constamment certains éléments, une flexibilité incompatible avec les processus rigides de l’animation où chaque changement entraîne une cascade de retouches. Face à cette frustration créative, une décision s’imposait : allonger le calendrier de production pour lui offrir l’espace d’expression nécessaire. Cette adaptation, bien que complexe pour l’organisation du studio, s’est révélée judicieuse puisque chaque modification a contribué à enrichir la qualité finale de la série. Pour accompagner Alain Chabat, Netflix a constitué une équipe d’experts internationaux exceptionnels : Kristof Serrand, superviseur d’animation ayant fait ses premières armes sur les Astérix des studios Idéfix ; Borja Montoro, character designer espagnol issu de chez Disney ; Aurélien Prédal, directeur artistique talentueux ; et Nicolas Chaudot, directeur d’animation rompu aux méthodes des studios américains…

Quelle vision artistique guidait ce projet ?
L’ambition d’Alain Chabat allait bien au-delà d’une simple adaptation en 3D : il voulait littéralement donner vie à la bande dessinée originale. Cette approche a servi de boussole à l’ensemble du projet, avec un résultat très excitant. Tous les départements travaillaient avec des cases de BD comme références absolues. Pour les animateurs, le défi relevait presque du paradoxe : comment faire bouger des personnages tout en restant fidèle à leur représentation statique dans la BD ? Cette quête du moment où Alain Chabat pourrait dire « Je vois enfin la BD en mouvement » a nécessité un temps considérable, mais le résultat justifie pleinement cet investissement.
Quels ont été les défis techniques à relever ? Et qu’en avez-vous retiré ?
Contrairement aux attentes, la modélisation des personnages n’a pas constitué l’obstacle principal. L’abondance de références et la présence d’experts comme Borja Montoro, capable d’identifier au millimètre près les imperfections d’une oreille ou d’une expression faciale, ont facilité cette étape. Le véritable défi résidait dans l’animation. Jamais auparavant le studio n’avait disposé de tels moyens pour l’animation pure, ce qui impliquait d’élever considérablement notre niveau pour atteindre les standards américains en termes de fluidité, de finesse des mouvements et d’expressivité. Là où nos équipes étaient habituées à deux ou trois phases de retouches, certaines séquences en ont nécessité jusqu’à neuf. L’adaptation à une méthode de travail inspirée du modèle américain, où la perfection l’emporte sur toute autre considération, a représenté une période exigeante mais infiniment enrichissante pour les équipes. Cette expérience a significativement fait progresser le savoir-faire du studio TAT.

En quoi le programme France 2030 a-t-il transformé TAT Productions ?
L’appel à projets France 2030 – La Grande Fabrique de l’image est apparu à un moment où le studio envisageait déjà une phase d’expansion. Avec Astérix en perspective et une stratégie de croissance bien définie, ce programme correspondait parfaitement à notre trajectoire. France 2030 a apporté un soutien financier substantiel qui a véritablement accéléré notre développement. Le projet présenté visait deux objectifs ambitieux : doubler notre capacité de production et positionner TAT comme l’un des champions européens de l’animation. Ce financement a permis des investissements essentiels en équipements, en espaces de travail, mais surtout en recherche et développement. Grâce à ce soutien, de nouveaux processus de fabrication pour nos séries ont pu être mis en place, avec des innovations déjà opérationnelles aujourd’hui. Les économies réalisées sur ces aspects techniques libèrent des ressources pour renforcer la dimension artistique et la qualité de nos productions.
Qu’est-ce qui, selon vous, distingue votre modèle de production et explique le succès de TAT ?
La création de contenus originaux constitue le socle de notre réussite. TAT figure parmi les rares producteurs européens positionnés sur le même segment que les studios américains. Sans prétendre disposer de moyens comparables, nous visons néanmoins un public similaire avec des productions aux ambitions internationales. Et contrairement à de nombreuses productions européennes privilégiant des approches plus artistiques, voire « auteurisantes », nous assumons pleinement le divertissement et l’aspect commercial de nos projets. Nos films sont conçus pour fonctionner sur les marchés internationaux, avec une formule éprouvée en termes de narration, d’esthétique et de rythme, qui répond aux attentes d’un large public tout en restant fidèle à notre vision créative. Je pense aussi qu’une particularité essentielle de TAT tient à notre ancrage exclusivement français. Cette conviction fondatrice repose sur un principe simple : pour maximiser la qualité visible à l’écran, chaque euro investi doit apparaître dans le résultat final. Les coproductions internationales entraînent souvent des dispersions artistiques et financières. Ce choix implique des risques financiers accrus, mais s’avère payant en termes de cohérence et de qualité finale.
En parlant d’ancrage français, comment TAT Productions contribue-t-il à l’écosystème local de Toulouse ?
C’est une dimension fondamentale de notre identité. Les relations entretenues avec les écoles et formations locales nourrissent un écosystème dynamique. Le studio a joué un rôle moteur dans plusieurs initiatives structurantes : l’installation du Cartoon Forum à Toulouse, la création du Fonds de soutien au cinéma et à l’audiovisuel de la Métropole, et le renforcement des budgets régionaux dédiés à l’audiovisuel. Au-delà de la création directe d’emplois, TAT génère un impact économique mesurable dans son environnement. De nombreux partenariats locaux illustrent cet engagement : une exposition des As de la jungle, tirée de notre série animée éponyme, au Muséum d’histoire naturelle de Toulouse qui a considérablement augmenté sa fréquentation, une collaboration avec le Toulouse Football Club pour les activités familiales, et actuellement une grande exposition célébrant les 25 ans du studio à la Foire internationale de Toulouse. Ces initiatives créent des événements culturels, renforcent l’attractivité du territoire et font rayonner simultanément le studio et la région toulousaine.

Que retirez-vous de l’expérience Astérix pour vos futures productions ?
Cette collaboration exceptionnelle a ouvert l’accès à des talents internationaux et à des méthodologies de travail habituellement hors de portée pour nos productions indépendantes. L’élévation du niveau de compétence des équipes représente un héritage précieux de cette aventure. Si notre prochain film, Falcon Express, prévu pour juillet 2025, n’a pas encore pu pleinement bénéficier de ces acquis en raison du calendrier, les projets suivants intégreront déjà de nombreux enseignements tirés de cette expérience. Une prestation premium comme celle-ci remplit ainsi une double fonction : assurer la viabilité économique du studio tout en élevant structurellement notre niveau de qualité global. Ces compétences nouvellement acquises bénéficieront intégralement à des productions 100 % françaises, créant une valeur ajoutée sur notre territoire. Pour les équipes, ce projet a généré un sentiment d’accomplissement et de fierté d’une ampleur inédite. Se confronter à une référence aussi mythique qu’Astérix, aux côtés d’Alain Chabat et Netflix, représentait un défi extraordinaire dont nous pouvons aujourd’hui tirer une légitime satisfaction.
Le studio TAT Productions fait partie des 68 lauréats de l’appel à projets France 2030 – La Grande Fabrique de l’image.
La série Asterix & Obelix : Le Combat des chefs a bénéficié du Crédit d’impôt international (C2i).