Un cinéaste mélomane
Alain Corneau est né le 7 août 1943 à Meung-sur-Loire, dans le Loiret, tout près d’une des bases américaines qui se sont implantées en France à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette situation géographique va fortement impacter son destin. Comme il le racontera en 1995 dans son très autobiographique (bien qu’inspiré de L’Occupation américaine de Pascal Quignard) Le Nouveau monde, c’est là qu’il développe une fascination pour la culture américaine en général et le jazz en particulier. Il joue d’ailleurs lui-même de la batterie dans un petit groupe. Et même lorsqu’il abandonne ses rêves de carrière de batteur (il choisit le cinéma en s’inscrivant à l’Idhec), cette passion pour la musique ne le quittera jamais. Ainsi, à 23 ans, il s’offre un voyage à New York pour rencontrer quelques-uns des maîtres du genre dont Archie Shepp et Ornette Coleman. Dans la foulée, il signe sur place son premier court métrage, Le Jazz est-il dans Harlem ? en 1969. Avant de tenter, mais sans succès, de monter un projet de long métrage sur le free jazz. La musique et les musiciens ne cesseront jamais de traverser l’œuvre de celui qui a remis au goût du jour la viole de gambe et Marin Marais avec son plus gros succès, Tous les matins du monde. Dans France société anonyme, on entend le bandonéon de Michel Portal et l’accordéon de Clifton Chénier. Il confie la B.O. de La Menace au jazzman Gerry Mulligan avant de faire entendre le pianiste Baptiste Trotignon, alors au début de sa prestigieuse carrière, dans Le Nouveau Monde. Il fera également appel à Christophe pour composer la musique des Mots bleus. Cette passion lui restera chevillée au corps jusqu’à son ultime long métrage, Crime d’amour en 2010, où résonnent les notes d’un des inventeurs de l’ethno-jazz, Pharoah Sanders.
Un cinéphile passionné
Amoureux fou de musique, Alain Corneau était aussi un passionné de cinéma. Un cinéphile passeur toujours disponible et enthousiaste pour parler des œuvres des autres et tout particulièrement du cinéma asiatique et du cinéma de genre (polar, western), dont il était un connaisseur particulièrement éclairé. Il expliquait devoir cette passion à son père, vétérinaire de campagne, fou justement de ce type de cinéma, qui l’a emmené découvrir sur grand écran ces films qu’il prisait tant. Dans sa filmographie, un long métrage symbolise sans doute plus que tous sa cinéphilie. Il s’agit de sa version personnelle du Deuxième Souffle en 2007 (31 ans après celle de Jean-Pierre Melville) où il revenait à l’essence du roman originel de José Giovanni avec un parti pris visuel très stylisé, influencé par le cinéma asiatique.
Des débuts chaotiques
Alain Corneau signe son premier long métrage à 30 ans. Après l’Idhec, il a en effet appris son métier comme assistant réalisateur et travaillé auprès de cinéastes aussi divers que Costa-Gavras (L’Aveu), Roger Corman (Istanbul, mission impossible), Marcel Bozzuffi (L’Américain) ou Michel Drach (Elise ou la vraie vie). Il a la réputation d’être le meilleur à ce poste, ce qui ne l’empêche pas se lancer à son tour derrière la caméra en 1974 avec France société anonyme. Alors très engagé politiquement (côté trotskiste), il s’aventure sur le terrain de la politique-fiction avec un récit situé en 2222, où une femme d’affaires américaine veut s’emparer du marché de la drogue en France, en imposant sa légalisation. Coécrit avec Jean-Claude Carrière, France société anonyme est un film étrange, hybride, où Alain Corneau mélange la fable, le film noir, la comédie surréaliste. Il y dirige Michel Bouquet, Francis Blanche ou encore Allyn Ann McLerie, l’une des héroïnes d’On achève bien les chevaux de Sydney Pollack. Le film est un échec. 71 243 entrées, le pire résultat de toute sa carrière. Un échec qui a failli sonner le glas de son parcours derrière la caméra avant qu’il ne rebondisse deux ans après avec un polar, plus classique, Police Python 357.
Un amoureux du film noir
Police Python 357 symbolise d’ailleurs une des tendances majeures du cinéma d’Alain Corneau. Son goût affirmé pour le polar et le film noir avec des œuvres qui vont rencontrer un grand succès à leur sortie avant de traverser le temps. D’abord Police Python 357 puis La Menace où Yves Montand incarne successivement un inspecteur taiseux contraint de liquider son supérieur et un homme qui se fait accuser d’un crime à la place de la femme qu’il aime. Suivront Série noire (avec Patrick Dewaere et Marie Trintignant) puis dans les années 80 Le Choix des armes (avec le quatuor Catherine Deneuve - Gérard Depardieu - Yves Montand - Gérard Lanvin) et Le Môme (coécrit par… Christian Clavier), Le Cousin (avec le tandem Alain Chabat - Patrick Timsit) dans les années 90 et ses deux derniers longs métrages Le Deuxième Souffle et Crime d’amour (avec Ludivine Sagnier et Kristin Scott Thomas). Tout sauf écrasé par son admiration pour le genre, il y fait montre d’un vrai sens de la construction des intrigues allié à la précision de ses mises en scène.
Un grand amateur d’adaptations en tout genre
Rares sont les cinéastes qui peuvent se targuer d’avoir porté à l’écran des œuvres d’écrivains aussi divers que Louis Gardel (Fort Saganne), Antonio Tabucchi (Nocturne indien), Pascal Quignard (Tous les matins du monde et Le Nouveau Monde), Amélie Nothomb (Stupeur et tremblements) ou encore Jim Thompson avec Des Cliques et des cloaques, adapté en Série noire avec la complicité d’un grand nom de la littérature, Georges Perec. Ce large éventail traduit l’absence de tout esprit de chapelle chez cet auteur qui a toujours su garder un sens du cinéma populaire. Sa culture et sa curiosité dépassaient largement nos frontières et l’ont amené à parler de l’Afrique, de l’Inde et du Japon. Alain Corneau était un digne représentant de ce fameux cinéma du milieu, composante essentielle du cinéma français dans les années 80 et 90.