Le Bonheur d’Assia (1966)
Andreï Kontchalovski, passionné de piano, se destinait à une vie de musicien avant de rencontrer le cinéaste Andreï Tarkovski. Il va coécrire pour lui plusieurs films, dont L’Enfance d’Ivan et Andreï Roublev. Le Bonheur d’Assia est son deuxième long métrage en tant que réalisateur après Le Premier Maître (1965). Andreï Kontchalovski y affirme son style réaliste proche du documentaire (le film a été majoritairement tourné avec des acteurs non-professionnels), mais non dénué de lyrisme. Le Bonheur d’Assia s’appuie sur une trame mélodramatique qui voit une jeune infirme repoussée par son prétendant, un chauffeur routier dont elle est enceinte. À travers ce parcours douloureux, Kontchalovski offre un portrait sans concession de la campagne soviétique avec ses kolkhozes. La richesse du film tient notamment dans ses nombreuses digressions qui prennent la forme de monologues improvisés où des hommes et des femmes racontent leurs blessures secrètes. Le gouvernement soviétique de l’époque ne saura trop comment appréhender ce film qui, par bien des aspects, renvoie une image très critique du pays. Il faudra attendre dix ans à Andreï Kontchalovski pour voir son film exploité à l’étranger. Le cinéaste signera une suite, en 1994, intitulée Riaba ma poule.
Maria’s Lovers (1983)
Andreï Kontchalovski tente l’aventure hollywoodienne à l’orée des années 80 en partie grâce au succès de sa fresque Sibériade sur fond de Révolution russe, auréolée d’un Grand Prix au Festival de Cannes en 1979. « À partir du moment où j’ai tourné Sibériade, je me suis mis à travailler avec l’idée suivante : je dois faire un bon film, avoir du succès et comme ça, après je pars », explique le cinéaste à Michel Ciment dans ses Conversations (*). Le premier film réalisé sur le sol américain sera ce Maria’s Lovers. Il raconte le retour au pays d’un homme après des années de captivité au Japon. Arrivé en Pennsylvanie, il espère séduire Maria, mais celle-ci a déjà plusieurs prétendants. Le casting est composé de Robert Mitchum, Nastassja Kinski, John Savage, Keith Carradine. Le scénario est coécrit par le Français Gérard Brach, proche collaborateur de Roman Polanski. Comme pour Le Bonheur d’Assia, le cinéaste rend compte d’une vie provinciale dont la pureté supposée ne résiste pas à la fièvre des passions.
Runaway Train (1985)
Changement de cadre et de ton avec Runaway Train, basé sur un scénario du maître japonais Akira Kurosawa. Un scénario qu’Andreï Kontchalovski et ses producteurs vont considérablement modifier pour le rendre « plus spectaculaire ». Ils feront notamment appel à l’écrivain Edward Bunker qui se servira de son passé d’ancien détenu pour écrire le rôle de Manny (John Voight), personnage principal de cette odyssée new age. Runaway Train raconte l’évasion de Manny d’une prison de haute sécurité perdue au fin fond de l’Alaska. L’homme, qui a entraîné malgré lui un jeune qui lui voue un véritable culte (Eric Roberts), embarque au hasard dans un train. Le conducteur décède brutalement juste après le départ, laissant la machine prendre inexorablement de la vitesse. Sans rien céder à son style très réaliste, Kontchalovski transforme ce film d’action très nerveux en parabole sur la condition humaine. Le pessimisme si peu hollywoodien de l’ensemble détonne d’emblée avec les canons du genre. Runaway Train s’achève sur une citation du Richard III de William Shakespeare : « Il n’est pas d’animal plus féroce qui ignore ce qu’est la pitié. Je ne connais pas la pitié, je ne suis pas un animal. » Runaway Train est présenté en compétition au Festival de Cannes en 1986. Aux États-Unis, John Voight reçoit un Golden Globe pour sa prestation, à défaut de l’Oscar qui lui semblait pourtant promis. Dans la foulée de ce succès critique et public, Andreï Kontchalovski tourne un autre film d’action, Tango et Cash (1989), avec Sylvester Stallone et Kurt Russell. Ce film sera le dernier de sa période hollywoodienne qui aura donc couvert toute la décennie.
Les Nuits blanches du facteur (2014)
Le retour du réalisateur dans une Russie postsoviétique lui permet de travailler plus librement et de ne pas redouter une quelconque censure d’État. Outre la suite du Bonheur d’Assia en 1994 (Riaba ma poule), Kontchalovski tourne Le Cercle des intimes (1990), autour de la figure de Staline, La Maison de fous (2002), tragi-comédie sur fond de la première guerre de Tchétchénie ou encore Gloss (2007), critique du néo-capitalisme qui inonde alors la société russe. Avec Les Nuits blanches du facteur, il revient à un cinéma plus naturaliste. Il s’intéresse à la vie coupée du monde d’une communauté de villageois installés sur la rive du lac Kenozero, au nord-ouest de la Russie. Le récit se concentre sur la figure du facteur. Le cinéaste s’installe sur place avec une vague idée de scénario et va se servir de sa présence pour étoffer son récit. Le casting, à commencer par le facteur du titre, est principalement interprété par des non-professionnels. Andreï Kontchalovski obtient le Lion d’argent du meilleur réalisateur à la Mostra de Venise 2014.
Michel-Ange (Il Peccato) (2019)
Comme il l’avait fait avec Andreï Tarkovski pour l’écriture du scénario d’Andreï Roublev, le cinéaste se plonge à nouveau dans la vie tourmentée d’un artiste. Kontchalovski n’hésite pas d’ailleurs à envisager Michel-Ange (Il Peccato) comme une suite possible au film de Tarkovski. C’est en Italie que le film a été tourné, avec la volonté de restituer l’époque de la Renaissance dans son plus simple appareil, c’est-à-dire en refusant l’idée même du tableau filmé. Là encore, l’approche réaliste et naturaliste du cinéaste empêche l’emphase. Son Michel-Ange (Alberto Testone) est ainsi présenté comme un homme alcoolique et fou, son génie créateur coincé entre les désirs de deux familles rivales, « des assassins qui ne méritent pas toute cette beauté ». L’idée du film vient de la lecture d’un échange poétique entre un aristocrate de Florence s’extasiant devant le tombeau des Médicis réalisé par Michel-Ange et l’artiste lui-même. Si le premier souhaitait voir le marbre se « réveiller », le second lui aurait répondu : « C’est mieux de dormir dans une pierre que de vivre dans une époque de honte et de trahison ; alors, mon ami, ne me réveille pas. » Le film de Kontchalovski suit en effet les souffrances d’un artiste en pleine création. « Je cherchais Dieu, j’ai trouvé l’Homme… », se lamente-t-il dans les derniers instants du film.
(*) Andreï Kontchalovski : Ni dissident, ni partisan, ni courtisan (Institut Lumière/Actes Sud)
Michel-Ange (Il Peccato) ressortie le 19 mai. Ce film a reçu l’Aide sélective à la distribution (aide au programme, 2020).