Pourquoi et comment avez-vous décidé de réaliser ensemble Angelo dans la forêt mystérieuse ?
Alexis Ducord : Vincent et moi travaillons depuis longtemps pour le studio Je suis bien content. J’ai commencé à faire des séries et des court métrages avec eux au début des années 2000 et Vincent est arrivé peu de temps après pour réaliser Raging Blues.
Vincent Paronnaud : On se croise en effet depuis un moment dans les couloirs de Je suis bien content. J’avais le projet avec le producteur Marc Jousset d’adapter ma BD Dans la forêt sombre et mystérieuse en animation 3D. J’ai l’habitude de collaborer, je m’entends bien avec Alexis, et comme il avait travaillé sur Zombillénium, il avait une expertise en 3D que je n’avais pas…
Comment vous-êtes vous réparti le travail ?
Vincent Paronnaud : Le cinéma, c’est quand même surtout une succession de problèmes à résoudre. C’est bien d’être en binôme, on peut s’épauler. Dans le cas d’Angelo dans la forêt mystérieuse, Alexis est parti à La Réunion, où sont installés les studios 3D Gao Shan, tandis que j’étais à Montreuil pour gérer d’autres sujets, comme le montage. Il est évident que si je m’étais lancé tout seul dans ce projet, je me serais pris un mur ! On est dans un processus complètement différent de ce que j’avais pu connaître sur Persepolis. La 2D reste un format plus « familial », avec un processus de production plus léger. En revanche, la 3D exige une logistique plus lourde, où des problèmes imprévus peuvent parfois surgir bien après le début du travail, parfois six mois plus tard. Ce sont ces fameux « grains de sable » qui bloquent la machine. Dans ces situations, il faut soit tout recommencer, soit trouver des solutions de fortune. Ayant un parcours marqué par l'underground et le bricolage, j'ai l'habitude de faire avec les moyens du bord. Mais ici, il fallait bricoler avec des systèmes bien plus complexes que je ne maîtrisais pas. J'ai donc dû suivre un apprentissage presque académique pour bien comprendre ces mécanismes. C'est un travail de longue haleine.
Alexis Ducord : Le plus gros du travail finalement, c’est de garder intacte l’ambition initiale.
Qu’est-ce qui dans la bande dessinée originelle appelait une adaptation au cinéma ?
Vincent Paronnaud : Ce n’est pas le cas de tout ce que je fais en BD, mais Dans la forêt sombre et mystérieuse était un récit « à l’horizontal », un peu comme Persepolis. C’est un voyage initiatique. Il y a bien sûr une histoire, mais le récit tient plus sur les rencontres que sur l’intrigue elle-même. Quand j’ai fini la BD, je me suis dit qu’il y avait moyen de l’adapter, parce qu’il y a des personnages, des situations, et en même temps c’est « aéré », c’est à dire qu’il y a de la place pour les digressions. On peut enlever des choses, mais on peut surtout en ajouter. Disons qu’entre la BD et le film, c’est le même goût, mais pas les mêmes ingrédients. Le livre a été bien reçu, il a été primé au salon du livre jeunesse de Montreuil… Néanmoins, ce film reste une adaptation libre. Comme je suis l’auteur du livre, je pouvais faire ce que je voulais, je pouvais même le massacrer ! (Rires)
Alexis Ducord : C’était aussi ce qui me plaisait personnellement dans ce projet : la liberté d’une adaptation où je pouvais apporter ce qui m’intéresse et ce qui m’amuse, sans auteur tyrannique derrière, qui ne supporte pas qu’on touche à son œuvre. Vincent me laissait le champ libre.
Vincent Paronnaud : C’était l’un des mots d’ordre dès le début : « Oublions la BD et passons à autre chose ».
Adapter votre BD en film, Vincent, était-il une façon de vous adresser à un nouveau public ?
Vincent Paronnaud : En effet. Un livre, c’est une chose, mais un film en animation 3D, c’en est une autre. On s’adresse à des enfants qui ont leurs codes, leur vocabulaire, leur imaginaire… Et cet imaginaire s’est construit autour de films animés en 3D. Il y avait une volonté de notre part de toucher les enfants. J’adore l’animation 2D, mais c’est plus compliqué d’intéresser les gamins de dix ans avec ça aujourd’hui. On est obligé de composer avec l’influence de Pixar et DreamWorks. J’ai conscience qu’on n’atteindra jamais leur niveau esthétique, mais ce qui nous intéresse, c’est d’aller dans cette direction-là, puis d’en dévier un peu.
Alexis Ducord : On souhaitait avant tout s’adresser aux plus jeunes. Quand certains adultes me disent qu’’ils ont trouvé que le film était vraiment pour les enfants, je me dis qu’on a réussi ! On cherchait le bon dosage d’action, d’aventure, de poésie et d’émotion.
Vincent Paronnaud : Il se passe plein de choses chaotiques au sein du récit mais l’intrigue elle-même est très simple. Le méchant est très caricatural, et c’est jouissif. Ce personnage est autant inspiré par d’autres méchants de dessins animés que par des néo-fascistes contemporains comme Poutine. Car Angelo dans la forêt mystérieuse reste un film militant. D’habitude, ce que je fais est plus crépusculaire. Là, c’est plus idéaliste, on parle de tolérance, d’amitié, de la nature… Ce qui est bien dans les films pour enfants, c’est qu’on peut parler de ces choses frontalement. Le personnage de Fabrice, l’écureuil qui rêve d’être un oiseau, ça peut paraître naïf, et en même ça ne paraît pas superflu de répéter un tel message de tolérance aujourd’hui.
Le film peut aussi se regarder comme un voyage dans l’histoire du cinéma d’animation, puisque différentes techniques sont convoquées au fil du récit…
Vincent Paronnaud : C’est quelque chose que j’ai déjà testé dans mes courts métrages ou mes BD : changer de style graphique au cours de l’histoire. Là, en l’occurrence, c’était drôle de contaminer la 3D, qui est le médium le plus contemporain, avec des influences plutôt de la vieille école.
Alexis Ducord : C’est un jeu qui s’est construit au fur et à mesure. Dès le début, on savait qu’il y aurait quelques séquences qui seraient traitées différemment mais, petit à petit, ça a pris de plus en plus de sens de jouer avec ça. Des pixels pour les robots, un style années 30 pour raconter une vieille histoire…
Vincent Paronnaud : Comme s’il y avait des petits courts métrages à l’intérieur du long. C’est ludique pour les spectateurs, mais ça l’était pour nous aussi : ça apportait de l’oxygène pendant la fabrication du film.
Angelo dans la forêt mystérieuse
Réalisation : Vincent Paronnaud, Alexis Ducord
Scénario : Vincent Paronnaud d’après la bande dessinée Dans la foret sombre et mystérieuse de Winshluss (Gallimard Jeunesse)
Musique : Olivier Bernet
Production : Je suis bien content
Distribution : Le Pacte
Ventes internationales : Urban Sales
Sortie le 23 octobre 2024
Soutiens du CNC : Aide à la création de musiques originales, Aide sélective à la distribution (aide au programme 2024), ATA Aide aux techniques d'animation, Aide sélective à l'édition vidéo (aide au programme éditorial 2024)