Annecy 2019 : Entretien avec Corinne Kouper, fondatrice de l’association Les Femmes s’animent

Annecy 2019 : Entretien avec Corinne Kouper, fondatrice de l’association Les Femmes s’animent

12 juin 2019
Cinéma
Corinne Kouper
Corinne Kouper DR

Créée au Festival d’Annecy en 2015, Les Femmes s’animent (LFA) organise chaque année des rendez-vous autour de la place des femmes dans le secteur de l’animation. Parmi les événements de cette édition 2019, LFA participe à la table ronde du CNC sur la question « Quid des garçons ? ». Rencontre avec Corinne Kouper, fondatrice de LFA.


Il ne s’agit pas d’inverser les stéréotypes mais de travailler à une véritable parité

Pour quelles raisons avoir créé Les Femmes s’animent ?

Corinne Kouper : L’idée m’est venue lors d’un voyage à New York en 2014 où je participais à un congrès du Kidscreen, dédié au divertissement pour enfants. Une soirée de networking était animée en parallèle par Women in Animation. J’ai découvert les différentes actions que cette association menait afin de faire prendre conscience des inégalités dans nos métiers. A mon retour en France, je me suis penchée sur ces questions, persuadée que les inégalités dans le secteur de l’animation n’était pas si marquées chez nous. En consultant les chiffres de Team TO, le studio 3D que j’ai cofondé, je suis tombée des nues : il n’y avait environ que 30% de femmes parmi les effectifs alors que je pensais que la parité était respectée. A vrai dire, cela me semblait tellement évident que je ne m’étais jamais posé la question. J’ai eu un déclic.
 

 

Promouvoir la place des femmes dans les métiers de l’animation

J’ai donc proposé à Patrick Eveno et Michaël Marin – respectivement directeur du Festival d’Annecy et responsable du marché international du film d’animation à cette époque -  d’organiser une rencontre avec Women in Animation. Cette rencontre a abouti à la création de l’association Les Femmes s’animent (LFA), en 2015, que j’ai cofondée avec Eleanor Coleman et Delphine Nicolini. Nos ambitions sont multiples : promouvoir la place des femmes dans les métiers de l’animation, faire  en sorte qu’elles aient accès aux mêmes postes et aux mêmes salaires que les hommes, et encourager les jeunes filles à viser une carrière ambitieuse, à la hauteur de leurs compétences. Pour cela, nous programmons plusieurs fois par an des soirées informelles qui permettent de se rencontrer et d’encourager une certaine solidarité, mais aussi des tables rondes trimestrielles sur des thématiques variées (par exemple, les héroïnes dans les programmes jeunesse, ou bien les nouvelles écritures comme espace de création). Nous avons également mis en place un système de mentorat au sein de LFA. Il s ‘agit d’un programme d’accompagnement qui permet au « mentoré » de bénéficier des conseils d’un professionnel du secteur concerné (réalisation, conception, développement…) autour d’un projet de son choix.
 

 

L’association fête ses quatre ans. Quel bilan tirez-vous depuis ses débuts ?

Corinne Kouper : On peut mesurer l’avancée réelle qui a été faite en termes de prise de conscience et d’actions concrètes menées pour promouvoir la place des femmes dans l’animation. Mais on part de loin. L’une des premières tables rondes que nous avions organisées avait pour thème le sexisme. Nous étions en 2016, avant l’affaire Weinstein et le mouvement #MeToo. La parole n’était pas encore libérée, nous avions l’impression d’être dans le flou, sans savoir si nous étions entendues. Depuis, les témoignages récoltés sont édifiants et nos actions sont non seulement devenues indispensables mais se sont légitimées d’elles-mêmes au fur et à mesure que la société prenait conscience de tous ces sujets « tabous ». Nous avons décidé de démultiplier nos efforts et avons collaboré avec le collectif 50/50 en 2020 aux Etats généraux lancés en 2018 avec le ministère de la Culture et le CNC, qui ont abouti à la Charte pour la Parité Femmes-Hommes dans les festivals de cinéma, signé par le Festival d’Annecy l’an dernier. Nous avons travaillé avec le collectif et le CNC pour adapter le « bonus parité » de 15 % décerné par le CNC aux métiers spécifiques de l’animation. Ce bonus, entré en vigueur le 1er janvier 2019, en même temps que celui de la fiction, est attribué sur le Compte de Soutien dès lors que les films respectent la parité.

 

 

Eveiller les consciences et de faire avancer le débat dans le bon sens

Les différentes actions que nous menons tout au long de l’année permettent d’éveiller les consciences et de faire avancer le débat dans le bon sens. Ces rencontres – comme les petits déjeuners de LFA que nous proposons pendant le festival -  sont également l’occasion de confronter les points de vue de différents artistes, hommes et femmes, en France comme à l’international, sur la situation dans notre milieu et sur le besoin de diversifier les contenus. Nous avançons peu à peu, même si la route est longue.

 

Vous avez un lien particulier avec le Festival d’Annecy. Cette année, vous participez à la table ronde que le CNC organise le 12 juin sur la question « Quid des garçons ? » dans le secteur de l’animation. Pourquoi cette problématique ?

Corinne Kouper : Nous avons décidé de ce titre un peu décalé voire provocateur pour marquer les esprits. L’animation est un secteur destiné à un public international et qui s’exporte particulièrement bien. Être attentif aux tendances actuelles, capter les problématiques du moment est une nécessité lorsqu’on travaille dans l’animation. Cela peut expliquer les raisons pour lesquelles il nous est possible de ressentir les changements sociétaux avec une longueur d’avance. Parmi les tendances du moment, nous pensons que, si l’on a réussi à sortir du cliché représentant les héroïnes des films d’animation comme des princesses passives et sans défense, il ne faudrait pas que les garçons soient à leur tour stigmatisés. Il nous faut tirer la sonnette d’alarme : arrêtons de véhiculer des stéréotypes, quels qu’ils soient ! Il ne s’agit pas d’inverser ces stéréotypes, d’avoir des héroïnes qui se comportent comme des garçons manqués et des héros fébriles relégués au second plan !

 

La société inspire les images, de la même façon que les images reflètent la société.

La question est de travailler à une véritable parité, pour que chacun trouve sa place, et de représenter ainsi tous les genres, mais aussi toutes les origines, ethniques, sociales, à travers des personnages intéressants.

Il existe aujourd’hui encore un gap entre ce qui compose notre société et la façon dont on la représente à l’image. C’est pourquoi, avec Les Femmes s’animent tout comme au sein de TeamTO, nous réfléchissons à la manière de concevoir des images qui servent de modèles à nos publics, et surtout, qu’ils parlent d’eux. La société inspire les images, de la même façon que les images reflètent la société.

 

Vous évoquiez TeamTO, un studio d’animation 3D qui produit également des projets internationaux pour la télévision et pour le cinéma, que vous avez cofondé. Comment sensibilisez-vous vos collaborateurs à la question de l’égalité hommes/femmes ? Est-ce un sujet abordé lors de la formation à l’ECAS (Ecole de la Cartoucherie d’Animation Solidaire) que vous avez créée en 2017 ?

Corinne Kouper : La parité est évidemment un sujet sur lequel nous travaillons au quotidien avec nos équipes. La représentativité des femmes, l’égalité des droits, des salaires,  la valorisation de nos métiers, de nos savoir-faire… sont au cœur de nos préoccupations. Mais un autre sujet nous préoccupe tout autant : il s’agit de la diversité. Nous avons observé que le marché de l’animation connaît une telle expansion que la filière souffre d’un déficit de compétences en animation. Nous avons donc fondé, avec Guillaume Hellouin, président et co-fondateur de TeamTO, l’ECAS, la première école professionnelle gratuite et solidaire formant aux métiers de l’animation 3D. Nous voulions sensibiliser au fait que nos métiers ne sont pas réservés à une élite et donner envie aux jeunes issus de la diversité de se former aux métiers de l’animation. La formation est ouverte à toute personne majeure résidant en France, sans condition de diplôme, d’expérience professionnelle, de ressources ou d’âge. Un test est proposé aux candidats souhaitant intégrer l’ECAS afin de détecter leur potentiel à devenir un animateur. La capacité à être animateur, c’est un talent inné, un peu comme l’oreille musicale. Soit nous l’avons, soit nous ne l’avons pas !

Il nous reste beaucoup à faire en termes de parité.

Une trentaine d’étudiants est retenue par promotion – la troisième débutera d’ailleurs en janvier 2020. Mais là encore, il nous reste beaucoup à faire en termes de parité. Il faut aller chercher les filles ! Pour le moment, en dépit de tous nos efforts déployés, les effectifs des deux premières promotions comptaient environ 50% d’étudiantes contrairement aux écoles traditionnelles qui, elles, sont paritaires ou majoritairement suivies par les filles. Nous essayons de comprendre ce qui motive cet écart pour y remédier.  Mais on essaime peu à peu !
 

Corinne Kouper

Directrice des développements et productrice déléguée de TeamTO, Corinne Kouper se passionne pour l’animation en 1994 sur le tournage de Pierre et le Loup de Michel Jaffrennou, après 13 années où elle a exercé différents métiers dans le cinéma et la publicité. Co-fondatrice de TeamTO en 2005, elle y dirige le développement, la production et le financement des projets ciné et TV. Corinne est membre du conseil d’administration du syndicat des producteurs de films d’Animation qui œuvre pour améliorer les conditions de production des films d’Animation. En 2015, elle crée l’association Les Femmes s’animent, inspirée d’une initiative américaine « Women in Animation ». Cette association est destinée à promouvoir et valoriser la place des femmes dans les métiers de l’animation.