Camille Toubkis, de « La Graine et le Mulet » à « Un fils »

Camille Toubkis, de « La Graine et le Mulet » à « Un fils »

06 mars 2020
Cinéma
Un fils de Mehdi M. Barsaoui
Un fils de Mehdi M. Barsaoui Cinétéléfilms - 13 Productions - Dolce Vita Films - 13 Productions - Dolce Vita Films - Jour2Fête
A l’occasion du festival « Les monteurs s’affichent », une manifestation qui se déroule jusqu’au 8 mars, rencontre avec Camille Toubkis. La cheffe monteuse d’Un fils, premier long métrage de Mehdi M. Barsaoui, mène sa carrière entre cinéma et télévision depuis ses premiers pas sous l’égide d’Abdellatif Kechiche.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir monteuse ?

Camille Toubkis : C’est arrivé finalement assez tard, vers l’âge de 19 ans, quand je suis partie comme fille au pair à Londres. Sur place, j’ai rencontré un couple d’amis de ma mère, dont le mari était monteur sur des films d’animation et des clips. Il m’a montré son travail et quand j’ai vu ce qu’on pouvait faire juste avec la juxtaposition de deux plans, ça m’a fascinée. Littéralement. En rentrant à Paris, j’étais sûre de vouloir en faire mon métier.

Comment réalise-t-on concrètement cette envie ?

J’ai d’abord terminé un DEUG d’études théâtrales puis je me suis inscrite en cinéma à la fac de Saint-Denis. Mais ce sont surtout des rencontres qui m’ont mis le pied à l’étrier. A cette époque, on tournait encore beaucoup en pellicule 35 mm et on faisait donc appel à de nombreux stagiaires pour suivre toute l’élaboration du projet. C’est ainsi que j’ai gravi les échelons. Mais ça a pris du temps !

Quelles ont été les rencontres décisives pendant cette période d’apprentissage ?

J’ai assisté Yann Dedet sur Western et Te quiero de Manuel Poirier. Ce fut une chance immense de voir travailler cet immense monsieur. Pareil pour Martine Giordano, aujourd’hui disparue, qui a monté les films de Téchiné et de Pialat comme Yann. Ces deux personnalités ont été de vrais guides de travail pour moi.

Vous accédez au poste de monteuse en 2007 avec La Graine et le Mulet. Comment êtes-vous arrivée sur ce film d’Abdellatif Kechiche ?

J’ai été engagée comme assistante monteuse après un casting où il avait rencontré pas mal de monde. Assez rapidement, on m’a demandé de co-monter La Graine et le Mulet avec sa femme Ghalya Lacroix sans pour autant en être la cheffe monteuse. Je ne pouvais rêver d’un scénario plus idéal. D’abord parce que comme tous les films d’Abdel, il s’agissait d’un projet au long cours où on pouvait prendre le temps de travailler. Ensuite, parce que je n’avais pas sur les épaules la pression et le poids de la responsabilité du montage. De toute façon, avec Abdel, on est dans le collectif. Comme dans une troupe de théâtre.

 

On sait qu’il tourne énormément. Comment se construit un montage avec autant de rushes ?

Ce montage s’est étalé sur plus d’un an. Le film a donc pris forme au fur et à mesure. Mais on ne travaille pas sur tout, et pas tout le temps. Vu le nombre de rushes, on aborde chaque scène comme un film à part entière pour prendre le temps de s’y immerger. Et, après, on retravaille la scène en question par rapport à la globalité du film. Abdel fait fi de tout code de durée ; il n’aime rien tant que les scènes qui prennent le temps, qui s’étirent. Il déteste « ellipser » les émotions. Seule la justesse du jeu l’obsède.

Vous avez ensuite monté Vénus Noire, La Vie d’Adèle et Mektoub my Love : Canto uno. Qu’est-ce qui a le plus évolué dans vos rapports de travail ?

Il y a une confiance qui s’est peu à peu instaurée entre nous. Un élément essentiel pour aborder une matière qui peut être très intimidante. Au fil des films, je pense être arrivée à m’approprier cette matière tout en trouvant ma propre méthode. En fait, chaque film d’Abdel devient un grand laboratoire passionnant auquel il n’est jamais simple de mettre le mot fin.

En quoi votre métier a été bouleversé par le passage au tout-numérique ?

C’est bien plus la manière de tourner que de monter qui a changé. Sauf évidemment pour des films qui nécessitent beaucoup d’effets. Mais ce ne sont pas ceux sur lesquels j’ai travaillé jusqu’ici. Quand le virtuel est arrivé, beaucoup pensaient que notre métier allait être beaucoup plus rapide. Ce n’est absolument pas le cas. Evidemment, techniquement, certaines manipulations sont plus rapides. Mais le travail de réflexion, lui, reste le même. Il s’est même parfois complexifié car qui dit numérique, dit aussi plus de prises donc plus de rushes. Et, dans le cas des films d’Abdel, le passage au numérique favorise son processus de recherche.

Dans votre parcours, vous avez alterné cinéma et séries télé (Mafiosa, Engrenages, Baron noir, Vernon Subutex…). Qu’est-ce qui change le plus dans votre travail entre ces deux disciplines ?

A la télé comme au cinéma, j’ai eu la chance de travailler jusque-là avec des metteurs en scène investis et intéressants qui possèdent un vrai regard. Certes, sur une série, il y a des délais plus courts et des intervenants extérieurs - comme les représentants des chaînes - présents plus en amont. On est moins dans notre petite bulle qu’au cinéma. Le travail de recherche dure également moins longtemps. Mais en contrepartie, tout est quand même très construit en amont. L’exercice de la série répond à des codes qui doivent être présents dès l’écriture et guident bien évidemment l’exercice du montage.

Comment s’est déroulée votre arrivée sur Un fils, le premier long métrage de Mehdi M. Barsoui qui sort le 11 mars ?

C’est une co-production franco-tunisienne. J’ai donc été contactée par le producteur français et on a commencé à échanger par Skype avec Mehdi qui venait de terminer son tournage. Je suis partie 4 semaines en Tunisie pour commencer le montage et on l’a terminé en France. Dans un premier temps, on a tout dérushé ensemble. Cet exercice est toujours un peu intimidant mais il nous a permis de faire connaissance, d’échanger concrètement sur son projet et ses envies. Moi qui ne parle pas arabe, ça m’a aussi aidée à repréciser certains éléments. C’était bien de prendre ce temps-là avant de se lancer vraiment dans le montage. Ce que je n’ai jamais l’occasion de faire sur une série, par exemple.

Ce film autour du fils d’un couple qui a besoin d’une greffe de rein pour survivre mêle énormément de thèmes et de genres. On peut y voir un suspense, une histoire de couple en crise, un portrait de la Tunisie en plein cœur du Printemps Arabe… Comment cet équilibre fragile et délicat se construit-il au montage ?

On n’a jamais réfléchi en termes d’équilibre. Tout s’est fait très naturellement. On a travaillé avant tout sur la psychologie des personnages. En particulier celui de la femme de ce couple qui doit décider d’avouer ou non à son mari que leur fils n’est pas le sien. Dans un premier temps, elle nous paraissait un peu trop passive avec des réactions un peu trop répétitives. On a décidé de recentrer l’intrigue sur le couple, en réduisant la part de certains personnages secondaires tout en restant fidèle à la trame du scénario. Tout, à partir de là, est question de dosage pour passer de la première version du montage de 2h20 à celle du métrage finalisé de 1h35. On a mis 11 semaines pour arriver au résultat final.

 

Votre filmographie de monteuse montre un attachement particulier pour le cinéma ou la série d’auteur. C’est le hasard ou le fruit de vos choix ?

Quand on a débuté avec quelqu’un comme Abdel, ça déclenche forcément des choses qui vont dans le sens de ce cinéma-là. Mais pour moi, tout a vraiment décollé à partir de La Vie d’Adèle. C’est là où j’ai commencé à recevoir des propositions : ce film m’a donné du crédit. Et à partir de là, il y a eu un effet boule de neige. Même chose pour la série. Une fois qu’on en a monté une, si votre travail a plu, vous êtes dans un circuit et contactée plus facilement car vous rassurez. Ma sensibilité me porte en effet plus spontanément vers le cinéma ou la série d’auteur. Je ne dis pas que je ne pourrais pas travailler sur un autre matériau mais celui-là me passionne

Vous est-il arrivé de démarcher des cinéastes ?

Non jamais. Je ne me sens pas très à l’aise pour le faire.

Et à l’inverse, avez-vous décliné beaucoup de propositions ?

Pas énormément. Car j’ai beaucoup de mal à dire non. Ca me touche toujours qu’on pense à moi ! Sauf quand, évidemment, j’ai deux propositions sur la même période.

Et comment se font alors vos choix ? Sur l’intrigue ? Sur le réalisateur ?

Il n’y a pas de règle. L’humain compte en effet beaucoup. Il n’y a donc pas que l’histoire. D’autant plus que si j’apprécie l’univers d’un réalisateur, j’aurai envie d’en faire partie quel que soit son nouveau scénario car je lui fais une entière confiance.

Sur quel prochain projet pourra-t-on retrouver votre travail ?

Je finis une série OVNI (s), réalisée par Anthony Cordier qui possède un regard et une précision de mise en scène absolument remarquables. Et je devrais enchaîner avec un long métrage. C’est le hasard qui veut cela mais ça me convient parfaitement. Car le long métrage me permet de trouver ce cocon, cette relation en binôme avec un réalisateur sur une période de recherches plus longue. Même si la baisse des budgets a tendance à rétrécir certains délais.

Un fils, qui sort mercredi 11 mars, a reçu l’aide à la création de musique de film, et l’aide à la coproduction franco-tunisienne du CNC.