Comment « Contre ton cœur » raconte la crise économique au Portugal

Comment « Contre ton cœur » raconte la crise économique au Portugal

19 juin 2019
Cinéma
Contre ton coeur
Contre ton coeur Ed Distribution - DR

La cinéaste portugaise Teresa Villaverde raconte une famille détruite par le chômage et la rébellion d’une jeune fille qui refuse que cette situation lui vole son adolescence. Décryptage.


En plongeant au cœur d’une cellule familiale touchée par le chômage

La crise économique qui frappe le monde occidental depuis le milieu des années 2000 n’a pas épargné le Portugal et elle a naturellement inspiré la plupart des cinéastes qui cherchent à raconter le réel. C’est le cas de Teresa Villaverde avec Contre ton cœur. Née en 1966, cette réalisatrice fait partie avec Pedro Costa et Miguel Gomes de cette nouvelle vague portugaise qui a renouvelé le cinéma local dans les années 90. Pourtant, c’est la première fois qu’elle s’attaque à un sujet aussi ouvertement social. Elle choisit d’explorer les dommages collatéraux causés par le chômage sur une petite cellule familiale : le père, la mère et leur fille adolescente. Pour le cinéaste ce choix d’une famille resserrée permettait de créer une situation de tension propice au déclenchement du drame « N’être que trois dans une famille, c’est souvent compliqué. Le plus souvent, les parents dialoguent entre eux et l’ado reste sur la touche. Les montrer dans cet appartement exigu permettait aussi d’accentuer les tensions, de créer des situations ambigües. »

En faisant du mari la victime du chômage

La vie est donc compliquée à la base pour cette famille, mais lorsque le père se retrouve au chômage, leur quotidien devient littéralement insupportable. « Aujourd’hui, ceux qui ont un travail sont considérés comme des bienheureux », explique Villaverde. Un paradoxe et un contre-sens : « total, parce que parmi ceux-là, combien exercent le métier de leur rêve ? La plupart sont exténués et finissent par ne plus regarder le monde qui les entoure. Ils s’enferment dans un mutisme, ne parlent même plus à leurs proches. Ils perdent jusqu’à la force de protester »… Et parfois, le chômage les atteint à leur tour. « Dans un couple, quand un seul des deux perd son travail, sa culpabilité ajoutée à l’usure de l’autre rend la situation infernale. » C’est ce qui se joue dans Contre ton cœur qui adopte en plus un parti-pris très féministe. « Comme l’égalité des sexes n’existe pas au Portugal, j’avais envie que ce soit le père qui perde son emploi », souligne la réalisatrice.

En racontant cette histoire par le regard d’une adolescente

Teresa Villaverde a souhaité raconter cette atmosphère de non-dits de plus en plus violents d’un poste d’observation bien particulier. Celui de la fille adolescente du couple. Ce choix ne doit rien au hasard. Depuis toujours et notamment dans Os mutantes (1998) et Transe (2006), les adolescents sont au cœur de son cinéma. « Je place tous mes espoirs en la jeune génération. Ils n’ont aucune garantie et ils n’en ont jamais eue ! Et ceux qui, parmi eux, ne renonceront pas, ils seront dans l’obligation de trouver de nouvelles façons de vivre. Le changement ne peut venir que d’eux. » Dans Contre ton cœur, Marta, sa jeune héroïne, décide justement de ne pas se laisser abattre, refuse que le risque de paupérisation l’empêche de vivre pleinement son adolescence. Chez Villaverde le romantisme des adolescents les aide à affronter la dure réalité du monde. C’est la beauté de Marta, son élégance qui tirent le récit vers la lumière, et en dépit de la noirceur de la situation, permet d’éviter le misérabilisme. Au fond, Teresa Villaverde voulait aussi que son film ne soit pas que négatif : « Comme beaucoup, j’ai peur du monde actuel. Mais il ne faut pas se laisser envahir par cette peur car elle paralyse. Il faut la combattre en mettant toutes les idées sur la table puis en remettant tout en question. »

Contre ton cœur, de Teresa Villaverde est en salles le 19 juin. Le film a bénéficié de l’aide sélective à la distribution, l’aide aux cinémas du monde et l’aide à la coproduction franco-portugaise.