Comment est née Promenades Films ?
Samuel Chauvin : C’est une longue histoire. Une aventure humaine. La société a été créée en 1996 mais tout démarre au début des années 1990. J’ai alors 24 ans. Après avoir grandi à Aix-en-Provence, je monte en 1991 faire des études à Paris, avec un ami, François Lunel. Nous sommes à la faculté de cinéma à Paris VIII depuis deux mois quand éclate la guerre en ex-Yougoslavie. François m’annonce alors qu’il plaque tout pour partir à Sarajevo tourner un documentaire. Il va rester sur place durant toute la durée de la guerre, jusqu’aux accords de Dayton en décembre 1995, et rencontrer une compagnie qui anime le seul théâtre encore en activité pendant le siège dans le centre-ville de Sarajevo. Il se lie d’amitié avec eux et écrit un scénario de fiction pour les diriger : Jours tranquilles à Sarajevo. Il me demande de lui trouver un producteur. Je fais le tour de Paris mais, évidemment, du haut de mes 22 ans, personne ne me prend au sérieux. Je lui propose donc de le produire nous-mêmes et j’arrive à trouver des partenaires – dont Agnès b. pour ce qui sera son tout premier soutien à un long métrage – tout en montant une coproduction avec la télévision bosniaque. Ce qui va permettre de débuter le tournage en 1996, huit mois après les accords de paix. J’ai donc appris ce métier de producteur sur le tas et je ne me suis plus arrêté. Avec François, on a créé la société Promenades Films – clin d’œil à La Promenade inopinée, un long métrage de fiction en noir et blanc et en 16 mm qu’il avait réalisé pendant la guerre. Cette première expérience m’a aussi donné le goût, plus que de produire des films français, de me lancer dans des coproductions minoritaires avec l’étranger. Pour découvrir à chaque fois de nouvelles réalités et essayer de les transmettre.
Il y a chez vous un tropisme évident pour le cinéma d’Amérique latine. Comment naît-il ?
Il provient évidemment de mon amour pour le cinéma de ces pays-là. Mais il se trouve aussi que mon sang est à moitié espagnol par ma mère, dont la famille a fui Franco. Je suis donc très proche de cette culture. Il y a une quinzaine d’années, j’ai en effet décidé d’un grand coup de volant en direction de l’Amérique latine et des territoires hispanophones. Je ne me suis plus arrêté depuis.
Comment avez-vous réussi à vous faire connaître et démarrer des coproductions sur place ?
Le premier geste a été évidemment de me déplacer sur les différents festivals et marchés : Buenos Aires en Argentine, Guadalajara au Mexique… En parallèle, fort de cette expérience accumulée sur la coproduction internationale, j’ai décidé de la partager en donnant des cours dans des centres de formation de différents pays d’Amérique latine. Notamment à l’école de cinéma de San Antonio de los Baños à Cuba où j’ai animé divers ateliers. Tous les métiers du cinéma y sont représentés et cela a été pour moi l’occasion de rencontrer des porteurs de projets, de nouveaux talents. C’est aussi là que j’ai fait la connaissance de Carlos Lechuga dont j’ai coproduit les trois longs métrages : Melaza, Santa et Andres et Vicenta B. qui sortira dans les salles françaises le 11 octobre.
C’est aussi par ce biais que vous avez rencontré Laura Baumeister de Montis, la réalisatrice de La Hija de todas las rabias ?
Non. Je le dois au marché du film de Cannes, en 2019. Cette année-là, j’ai coproduit La Danse du serpent, le premier long métrage de l’Argentine Sofia Quirós Ubeda qui a été sélectionné à la Semaine de la critique. Sur place, j’ai un rendez-vous avec la productrice mexicaine Martha Orozco. Elle souhaite me parler d’un projet colombien qu’elle est en train de développer. Je n’accroche pas mais je lui demande si elle a d’autres projets. Et c’est là qu’elle évoque La Hija de todas las rabias, et me le présente en détail. J’accroche tout de suite et je vais très vite décider de m’engager pour ce qui deviendra le tout premier long métrage de fiction réalisé par une femme de toute l’histoire du cinéma nicaraguayen !
Pourquoi avoir choisi de coproduire ce film ?
Je commence toujours par demander à voir les œuvres précédentes des metteurs en scène. En l’occurrence pour Laura Baumeister de Montis, des courts métrages, où son talent me saute aux yeux. Celui qui se déploie dans La Hija de todas las rabias, avec ce mélange de réalisme et de poésie. Ensuite, il y a le duo réalisatrice-productrice que formaient Laura Baumeister de Montis et Martha Orozco. Dans ma manière de voir ce métier, les relations humaines sont fondamentales. Et puis, il y a évidemment l’histoire. Je vous le disais plus tôt, j’aime découvrir et transmettre des réalités qu’on ne connaît pas ou mal, au-delà des cartes postales. Comme ici La Chureca, la plus grande décharge à ciel ouvert du Nicaragua, où se déroule une partie de l’action.
En quoi consiste précisément votre travail de coproducteur ?
Il démarre avec des discussions sur le scénario, sur le travail de production design pour passer de l’écriture à l’image, sur le casting. Ici, on a eu une chance folle avec Ara Alejandra Medal qui incarne la toute jeune héroïne de 11 ans. On devait tourner en 2020 et on a dû tout décaler d’un an à cause de la pandémie et la première enfant que nous avions choisie avait trop grandi pour le rôle. On s’est donc replongés dans les essais filmés des 600 gamines qu’on avait vues et cette perle rare nous a sauté aux yeux !
Vous avez été présent sur le plateau ?
Pas cette fois-ci car le Covid rendait les choses trop compliquées. Mais de manière générale, je suis surtout présent pendant les dernières semaines de préparation puis au cours de la postproduction. Rarement pendant le tournage. J’estime que ce n’est pas tout à fait ma place.
Vous évoquiez la postproduction. Or il y a dans La Hija de todas las rabias un élément essentiel, quasiment un personnage à part entière : la bande originale composée par les Français Para One et Arthur Simonini. C’est vous qui avez suggéré leurs noms à la réalisatrice ?
Non, c’est elle qui m’a demandé de les contacter, car elle avait adoré leur travail sur Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma. La composition comme l’enregistrement et le mixage de la musique ont été réalisés en France. Ce travail s’est étalé sur un mois, qui coïncidait peu ou prou avec la sortie en salles de Spectre (Sanity, Madness and The Family) réalisé par Para One.
Comment Tamasa, le distributeur français du film, est-il arrivé sur le projet ?
Grâce au vendeur international du film, BFF, basé en Belgique. Tamasa s’est rapproché d’eux en septembre 2022 après avoir découvert La Hija de todas las rabias au Festival Biarritz Amérique latine.
LA HIJA DE TODAS LAS RABIAS
Réalisation et scénario : Laura Baumeister de Montis
Photographie : Teresa Kuhn
Montage : Julian Sarmiento et Raul Barreras
Musique : Para One et Arthur Simonini
Production : Felipa Films, Marth Films, Halal, Heimatfilm, Promenades Films, Cardon Pictures, Dag Hoel, Nephilim Producciones
Distribution : Tamasa
Ventes internationales : BFF
En salles le 13 septembre 2023
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