À quel moment et de quelle manière entendez-vous parler de Girl, le premier long métrage du jeune cinéaste belge Lukas Dhont ?
C’est quelqu’un des acquisitions chez Diaphana qui nous a alertés, Michel Saint-Jean [le PDG de Diaphana, ndlr] et moi, très en amont. On est alors au tout début de l’année 2018. Nous recevons alors un lien du film alors en work in progress. Et là, on prend une claque ; il est évident qu’on se trouve devant un grand réalisateur. L’envie de le distribuer est immédiate et on commence sans attendre une négociation, facilitée par le fait que nous avions été les premiers à le voir. Tout cela s’est fait assez rapidement car notre enthousiasme a été entendu. Dans la foulée, on rencontre pour la première fois Lukas Dhont dont la gentillesse désarmante, la finesse, l’intelligence et la drôlerie nous sautent aux yeux instantanément. On est tombés sous le charme.
Girl se retrouve, quelques mois plus tard, à Cannes, dans la section Un Certain Regard. Aviez-vous espéré la Sélection officielle ?
Quand on a envoyé le film à Thierry Frémaux, il l’a choisi très vite. Et jusqu’à l’annonce de la sélection, on ne savait pas s’il serait retenu en compétition ou à Un Certain Regard. Je ne vais pas vous mentir, on aurait évidemment préféré la compétition. Mais, finalement, Un Certain Regard nous a réservé une pluie de récompenses : le prix d’interprétation pour Victor Polster, la Queer Palm, le prix FIPRESCI et bien évidemment la Caméra d’or.
Cette avalanche de prix a modifié en profondeur la stratégie que vous aviez commencé à bâtir pour la sortie en salles quelques mois plus tard ?
Cannes joue évidemment un rôle essentiel pour les films comme Girl. Mais plus qu’un changement de stratégie, je dirais qu’elle permet d’affiner les idées que nous avions, au fil des discussions avec le vendeur international, mais aussi avec Lukas lui-même. Pour l’affiche par exemple, le visuel choisi pour Cannes fut celui retenu pour la sortie. Et c’est Lukas qui était venu avec cette photo en tête, ce portrait de Victor [Polster] coupé au milieu de son visage. Il suffisait de trouver la bonne typo. Mais en termes de promotion pure, la Caméra d’or n’est pas forcément un argument porteur. Pour Girl, on s’est surtout appuyés sur le retour enthousiaste assez unanime de la presse, combiné avec une petite tournée de Lukas à travers la France.
Vous aviez des objectifs d’entrées ?
On a toujours un objectif économique mais dans le cas de Girl, ce n’était pas vraiment déterminant. On voulait d’abord accompagner au mieux l’émergence d’un nouveau talent. Le public a été au rendez-vous, plébiscitant le film qui a réuni un peu plus de 350?000 spectateurs.
Il était alors certain que vous accompagneriez Lukas Dhont sur son deuxième long ?
Quand tout se passe aussi bien – humainement comme en termes de succès public –, il était évident pour nous que l’on continuerait à ses côtés. On a même décidé d’entrer cette fois en coproduction. Nous étions donc présents dès les prémices de Close.
Comment se passe le travail avec Lukas Dhont ?
Lukas travaille seul de son côté sur le scénario et c’est lui et lui seul qui décide du moment où il nous envoie une version qui lui convient pour avoir notre avis. Quand on a reçu le scénario de Close, on a été immédiatement séduits. D’abord parce qu’il nous proposait quelque chose de différent de Girl. Ensuite parce qu’on a été extrêmement touchés par cette histoire d’amitié fusionnelle entre deux jeunes garçons, brisée par la violence des regards extérieurs. Ce moment précis de la préadolescence n’a pas été si souvent raconté au cinéma. La promesse du film nous paraissait donc immense.
La sélection en compétition à Cannes était-elle un enjeu plus grand que pour Girl ?
Oui mais, pour être honnête, cette pression, c’est vraiment Lukas qui l’a vécue. Notre mission, chez Diaphana, a été de l’accompagner au mieux pour qu’il vive le plus sereinement possible cette exposition. Sur Girl, il y avait chez Lukas une certaine insouciance, celle de la découverte d’un festival comme Cannes. Cette fois, il savait comment cela se passait même si la sélection en compétition change tout, rajoute des attentes. Sur place, on a tout de suite ressenti un enthousiasme autour du film. Mais à Cannes, on a pris l’habitude de se méfier de nos premières impressions car on connaît le côté extrême du festival où tout peut redescendre aussi vite que c’était monté. Même si on préfère toujours quand ça part bien ! (Rires.)
Comment avez-vous vécu la soirée du palmarès ?
On nous a informés que Close avait un prix, mais sans nous préciser lequel. Ce qui est assez dingue à vivre, c’est de voir les récompenses se succéder… jusqu’au moment où il n’en reste plus que deux ! Pour ma part, je garderai pour toujours une image en tête : celle de Michiel Dhont, le frère de Lukas – producteur du film – au moment de l’annonce du Grand Prix et le regard qu’il a posé sur Lukas tout au long de son discours, avec les larmes dans les yeux. C’était très fort !
Comment s’est construite la stratégie de sortie en salles de Close ?
On a tout d’abord eu la chance de disposer d’un très beau matériel photo, Lukas ayant fait le choix d’avoir un photographe de plateau tout au long du tournage, ce qui est de plus en plus rare de nos jours. Et, comme pour Girl, il avait une idée précise de l’affiche qu’il souhaitait, idée qui au fond rejoignait la nôtre. Montrer ces deux jeunes garçons ensemble, l’un de face qui nous regarde et l’autre de dos. Cette image raconte exactement ce qu’est le film. Elle ne ment pas. Elle possède un autre atout indispensable pour nous, distributeurs : celui d’accrocher le regard et de ne plus le lâcher.
Close fait partie de ces films dont l’intrigue doit garder une certaine part de mystère et de surprise. Comment construit-on une bande-annonce avec ce type de contrainte ?
On a essayé pas mal de choses. Avec comme question centrale : jusqu’où va-t-on ? Que peut-on raconter et que doit-on taire ? On a donc envisagé différentes versions avec plus ou moins d’informations en faisant le choix à l’arrivée de ne pas trop en dire. Mais là encore, Lukas a été très impliqué. Comme il l’avait fait sur Girl, il est venu à Paris spécialement pour retravailler sur la maquette à laquelle nous avions abouti et qui plaisait à tout le monde. Les changements furent minimes mais ce qui est intéressant avec lui, c’est que tout cela se fait dans une bonne entente, dans la bonne humeur. Au fil de nos deux aventures communes, nous n’avons jamais connu le moindre conflit.
Avez-vous des attentes précises en termes d’entrées ?
La période actuelle est trop propice aux incertitudes en tous genres et le marché trop compliqué pour fixer des objectifs précis. Mais on sait qu’on peut s’appuyer sur un solide réseau de salles – mêlant multiplexes et réseaux art et essai [Close a reçu aussi bien les labels MK2 que « UGC M »], car le film a beaucoup plu aux exploitants. Girl était sorti sur 186 écrans, Close sera présent sur 230 écrans, le mardi 1er novembre. On espère évidemment un élargissement en deuxième et troisième semaines si le démarrage le permet. Au départ, il sera surtout distribué à Paris, sa périphérie et dans les grandes villes. Dans un deuxième temps, il sera visible dans les plus petites agglomérations.
CLOSE
Réalisation : Lukas Dhont. Scénario : Lukas Dhont et Angelo Tijssens. Photographie : Frank van den Eeden. Montage : Alain Dessauvage. Musique : Valentin Hadjadj. Production : Versus Productions, Diaphana Films, Menuet Producties, Topkapi Films. Distribution : Diaphana Distribution. Ventes internationales : The Match Factory. En salles le 1er novembre 2022
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