Hippocampes, pieuvres et pluies d'étoiles (de mer). Personne n'aura filmé les animaux marins avec la virtuosité de Jean Painlevé (1902-1989). À la frontière entre la science et la poésie, l'œuvre de ce cinéaste-expérimentateur est mise en lumière dans l'exposition « Jean Painlevé, Les pieds dans l'eau » au Jeu de Paume. Jusqu'au 18 septembre prochain, l'institution parisienne ressort les plus beaux tirages et courts métrages de ce documentariste fasciné par la transmission des mystères de la nature. Repéré par les chefs de file du surréalisme - André Breton notamment - Jean Painlevé allie une description rigoureuse des sujets observés à des visuels étourdissants de beauté, caractérisés par une oscillation permanente entre l'échelle macroscopique et l'infiniment petit. Cette anatomie abstraite du vivant passe par une grande maîtrise des procédés cinématographiques, des superpositions psychédéliques du « Gasparcolor » (l’un des premiers système 3 couleurs pour pellicule, développé en 1933) à l'utilisation de la caméra argentique étanche Aquaflex. Cette sensibilité esthétique revendiquée lui ouvre rapidement les portes du cinéma d'avant-garde et lui permet d'entamer de nombreuses collaborations avec des figures artistiques comme le cinéaste Jean Vigo et le sculpteur américain Alexander Calder.
Celui qui disait que l'une des missions du cinéma était de « transmettre à l’homme cette évocation de la Nature dans ce qu’elle a de plus inéluctable, de plus cosmique » a également exploité la dimension métaphorique du monde animalier à des fins politiques. Deux ans avant la publication de La Peste (1947) d'Albert Camus, Jean Painlevé, engagé dans la résistance durant la Seconde Guerre mondiale, sort sa propre dénonciation de l’impérialisme fasciste : Le Vampire. Sous ses allures de simple documentaire animalier, ce court métrage met en parallèle le procédé de survie parasitique de la chauve-souris et l'invasion nazie de l'Europe. L'exposition « Jean Painlevé, les pieds dans l'eau » s'intéresse autant à la précision des recherches scientifiques qu'aux divagations oniriques d'un cinéaste unique en son genre, explorateur invétéré de la majesté du vivant.