La crise d’identité que traverse ces temps-ci le cinéma frappe-t-elle également le cinéma de patrimoine ?
Si on se réfère à la billetterie du Festival Lumière, pas du tout ! Nous sommes au-dessus de toutes les années précédentes en termes de préventes, ce qui nous fait évidemment très plaisir. Le public est là. Ensuite, au quotidien, à l’Institut Lumière, nous sommes impactés par le fait que les gens vont moins au cinéma, même si nous n’observons pas le même recul que les chiffres nationaux. Les cinémathèques sont constituées d’un public de cinéphiles, de fidèles. Il y a un lien fort entre le lieu et le public. Pour toutes ces raisons, j’ai le sentiment que le patrimoine est très vivant dans l’esprit des gens.
Est-ce que cette crise d’identité du cinéma a un impact sur la programmation du festival elle-même, sur ce que vous avez envie de dire de l’histoire du cinéma à travers cette manifestation ?
Notre positionnement, l’un de nos objectifs, c’est d’être, au-delà de la question du cinéma classique, un festival de cinéma. Classique, oui, mais qui rappelle surtout l’importance d’aller voir des films en salles. La cinéphilie des jeunes générations a beaucoup changé. On l’observe depuis dix ans et encore plus depuis la pandémie. Les grands classiques semblent beaucoup plus faciles d’accès qu’avant, grâce aux ressorties, aux DVD, aux plateformes, etc. Il y a un rapport nouveau à l’histoire du cinéma qui donne aux gens le sentiment que tout est disponible, que tout est à portée de main. Mais cette croyance est fausse, car beaucoup de films classiques sont en réalité difficiles à voir. Tout ça nous fait nous questionner sur le rapport à l’histoire du cinéma, à la cinéphilie, aux rôles des festivals et des cinémathèques, et sur la façon dont on peut « alimenter » la cinéphilie. En particulier pour les jeunes générations qui vivent dans l’illusion de la profusion de tout. Ce qui joue en faveur du festival, c’est qu’il est ponctuel, très identifié. Ce sont neuf jours intenses de cinéma à Lyon, un événement : le public est sensible au fait que c’est unique, exceptionnel.
Comment s’équilibre une programmation entre grands classiques et découvertes, entre passages obligés et chemins de traverse ?
Le festival veut être le reflet de l’histoire du cinéma, qui est longue et multiple. Nous voulons montrer des films muets et des films contemporains, des films de genre, de toutes les nationalités, les grands classiques comme les raretés. Avec cette idée en tête en permanence : on ne montre que des bons films ! Tout ne se vaut pas à nos yeux. Tout n’a pas le même statut, et tous les spectateurs n’en sont pas au même point dans leur cinéphilie. Tout ne peut pas être montré au même endroit, mis sur le même plan. Il faut savoir comment programmer quoi, de quelle manière. Accompagner les spectateurs. Mais également faire en sorte que les plus aguerris soient surpris ou dérangés dans leur cinéphilie.
Quelle part y a-t-il, dans la programmation du festival, entre les découvertes et les réévaluations que vous initiez vous-mêmes, et le simple reflet de ce à quoi travaillent les professionnels du patrimoine partout dans le monde ?
L’une de nos grandes fiertés, c’est que des restaurations ont été entreprises à la demande du Festival Lumière. Grâce au succès et à la visibilité du festival, beaucoup d’ayants droit ont trouvé intéressant d’être à nos côtés et de lancer des travaux de restauration, ou la fabrication de DCP [Digital Cinema Package, ndlr] sous-titrés en français qui n’étaient pas disponibles jusqu’alors, parce qu’ils considèrent que l’exposition qui en sera faite au Festival Lumière bénéficiera au film et à cet investissement. Cette année, c’est un peu un contre-exemple avec la rétrospective Louis Malle, parce que Gaumont a restauré les films et que Malavida va les distribuer, mais toutes les rétrospectives de cinéma français jusqu’à présent étaient de notre initiative. Quand on partait d’un corpus de, disons, quinze films, et qu’on réalisait qu’il n’y en avait que trois en DCP, on réunissait les ayants droit, les distributeurs, etc., et on finissait par avoir les quinze. C’est lié à un cercle vertueux : celui d’être un événement culturel s’inscrivant dans une logique économique.
La création du Marché international du film classique a été une manière de dire que le festival n’était pas qu’un acte culturel, qu’il s’inscrivait également dans une démarche plus « commerciale », économique. Les premières années, quand je parvenais à convaincre tel ou tel distributeur de faire telle ou telle restauration, j’avais à cœur de lui demander, six mois après, s’il y avait eu des retombées économiques au-delà de l’acte de générosité pour le festival, de l’aspect « mécénat ». Et c’est le fait que la réponse était positive qui a permis que désormais nous ayons ce pouvoir-là. Par ailleurs, via le label Lumière Classics, nous recevons des signaux extrêmement encourageants du monde entier, on sent une véritable vitalité. En Moldavie, en Slovaquie, à Taïwan, les pouvoirs publics ou les ayants droit restaurent des films. Cette année, une trentaine de films ont reçu le label Lumière Classics, nous invitons les archives albanaises qui viennent, pour la première fois, montrer un film… Lyon est devenu le rendez-vous de tous les gens du métier, que ce soient les producteurs historiques, Gaumont, Pathé, StudioCanal, TF1, ou les archives et les cinémathèques albanaises, slovaques, hongroises, tchèques, brésiliennes, etc.
Le monde vient à Lumière mais de quelle manière Lumière voyage-t-il dans le monde ?
Nous continuons de réfléchir à un Lumière hors les murs. Et les films eux-mêmes voyagent. Les gens impliqués dans les restaurations nous disent que les films circulent mieux quand ils ont été montrés au festival. Quand Warner fait du nouveau matériel d’À bout de course de Sidney Lumet, ou Park Circus du nouveau matériel de Serpico, on sait qu’ensuite les films auront une nouvelle vie commerciale.
Festival Lumière, du 15 au 23 octobre à Lyon