« Le Petit Nicolas – qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? », retour aux sources d’une « institution »

« Le Petit Nicolas – qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? », retour aux sources d’une « institution »

12 octobre 2022
Cinéma
« Le Petit Nicolas – qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? » d'Amandine Fredon et Benjamin Massoubre.
« Le Petit Nicolas – qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? » d'Amandine Fredon et Benjamin Massoubre. Bac Films

Cristal du long métrage au dernier festival d’Annecy, ce film d’animation raconte à la fois l’histoire intime de Jean-Jacques Sempé et René Goscinny, et une partie des aventures du Petit Nicolas. Décryptage avec Amandine Fredon et Benjamin Massoubre, ses coréalisateurs.


Il y a un mystère Le Petit Nicolas. Les encriers ont disparu, les écoliers ne portent plus de culottes courtes, mais le héros imaginé par Jean-Jacques Sempé et René Goscinny continue de fasciner. On connaît sa silhouette : ligne claire, cheveux en pétard, démarche décidée, et ce sourire de la pure joie d’exister. On connaît aussi ses histoires et son entourage : l’école, le surgé, les copains, les parents, mémé, les vacances… Ce qu’on connaît moins, ce sont ses origines et la vie de ses deux créateurs. C’est précisément ce que raconte Le Petit Nicolas - qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? Mélangeant making of animé et illustration de certaines aventures originales, le film d’Amandine Fredon et Benjamin Massoubre capture la mélancolie douce de l’œuvre originale et au-delà la vie intime des deux auteurs. Le petit Nicolas prend donc vie sous nos yeux et « sort » de ses aventures pour partir interroger ses géniteurs. Un projet qui a beaucoup évolué depuis les premières ébauches. « Au départ, il s’agissait de réaliser un film documentaire mêlant les vidéos d’archives de Jean-Jacques Sempé et René Goscinny aux histoires dessinées du Petit Nicolas. C’était l’idée d’Anne Goscinny, mais les archives n'étaient pas toutes d'excellente qualité. On a donc choisi de partir en full animation, raconte Amandine Fredon. En réalisant un film comme celui-ci, on savait d’emblée qu'on s'attaquait à deux défis : d’abord, il fallait faire un choix parmi les 222 histoires du Petit Nicolas. Mais surtout, on allait se mesurer à deux monuments de la culture française : René Goscinny et Jean-Jacques Sempé. »

Le trait de Sempé est difficilement imitable. Il paraît lâché, naïf, mais il est le fruit d’un travail dantesque, très compliqué à reproduire en numérique
Amandine Fredon

« C’était clairement intimidant, enchaîne Benjamin Massoubre. Le Petit Nicolas est une institution ! Ce livre passe de générations en générations. Chez moi par exemple, mon grand-père l’a lu à mon père, qui me l’a lu, et aujourd’hui je le raconte à mes enfants… Il fallait donc échapper à tous les écueils, et surtout à la pression. La solution fut d’être le plus sincère et le plus fidèle à nos émotions ». Aux émotions mais aussi, surtout, aux deux créateurs. La particularité du film tient à la manière dont les coréalisateurs ont su restituer l’élégance du trait de Sempé et l’esprit « frondeur » et très littéraire de Goscinny, une étrange alchimie entre les textes et le pointillisme des images. Le film commence au moment où les deux hommes « inventent » le Petit Nicolas sur la table d’un bistrot en 1957 et se conclue sur la mort de Goscinny en 1977. « On a choisi de concevoir le film comme l’hommage de Jean-Jacques à René. C’est Sempé qui raconte, et c’est lui qu’on voit, à la fin, dévasté par la mort de Goscinny…, explique Benjamin Massoubre. Mais « l’esprit » du film a pris corps une fois nos choix de design arrêtés. Notamment quand on a trouvé la manière d’incarner les deux univers très distincts de notre film – celui du monde des auteurs et celui du Petit Nicolas. » Ce choix s’est imposé très vite. « Pour la partie sur les aventures du Petit Nicolas, on a voulu restituer en animation et en couleur les illustrations telles qu’on les trouve dans le livre. Un défi, parce que le trait de Sempé est difficilement imitable. Il paraît lâché, naïf, mais il est le fruit d’un travail dantesque, très compliqué à reproduire en numérique, détaille Amandine Fredon. Et ses pleins et déliés sont des cauchemars pour les animateurs (rires). Quant aux parties biographiques, nous nous sommes également inspirés de Jean-Jacques, mais plutôt de sa période New Yorker, en essayant notamment de reconstituer son travail sur la couleur ».

 

Restait ensuite à retrouver le verbe de Goscinny (et de Sempé), pour les dialogues et les voix off.  « Comme on voulait être le plus près possible de qui ils étaient vraiment, explique Benjamin Massoubre, nous avons souvent repris leurs propres mots retrouvés dans des interviews ou dans des documents personnels… »

Cette fidélité aux auteurs a été également nourrie par la proximité avec Sempé et Goscinny. « Au début, se souvient Benjamin Massoubre, Sempé nous a parlé de la création du Petit Nicolas, de sa relation avec René. Et puis Anne (Goscinny) nous a ouvert le bureau de son père. On a vu sa table de travail, sa chaise, ses premiers tapuscrits annotés de sa main ; on a vu les premiers dessins du Petit Nicolas avec la colle de l’imprimeur encore autour. » 

Dès le début de l’écriture, on a moins cherché une structure narrative qu’une arche émotionnelle. Et cette arche, c’est une histoire de résilience.
Benjamin Massoubre

La puissance du film ne tient pas que dans cette précision – qui aurait pu virer à l’hagiographie ou à la caricature. Elle est propre à l’histoire et à sa charge sentimentale. « Dès le début de l’écriture, on a moins cherché une structure narrative qu’une arche émotionnelle, confie Benjamin Massoubre. Et cette arche, c’est une histoire de résilience. Le Petit Nicolas c’est l’histoire de deux hommes qui se sont fait voler leur enfance. L’un par un beau-père abusif, l’autre par la Shoah (Ndlr : Goscinny a perdu une partie de sa famille dans les camps). Ensemble, ils ont donc créé ce personnage pour pallier des choses qu’ils n’ont pas pu vivre. » La création de ce personnage mythologique a d’abord été un remède, et ce petit écolier la consolation de deux génies. Nicolas est aussi insouciant et naïf que Sempé et Goscinny pouvaient être graves et angoissés. Rien d’autobiographique dans ces histoires – car comment pourrait-on imaginer l’enfance comme un paradis quand on a vu partir ses proches dans les camps ? Le film d’Amandine Fredon et Benjamin Massoubre laisse entendre que les deux auteurs se sont projetés dans un monde fantasmé, parfait et idyllique, en partie pour réparer une enfance abîmée, qu’ils puisèrent dans des choses intimes, personnelles, pour en donner une traduction stylisée qui devint à la fois universelle et intemporelle. Une belle définition de l’art. 

LE PETIT NICOLAS – QU’EST-CE-QU’ON ATTEND POUR ÊTRE HEUREUX ?

Réalisation : Amandine Fredon et Benjamin Massoudre
Scénario : Anne Goscinny et Michel Fresler, d’après les personnages créés par René Goscinny et Jean-Jacques Sempé
Avec Alain Chabat, Laurent Lafitte, Simon Faliu…
Direction artistique : Fursy Teyssier
Animation : Juliette Laurent
Musique : Ludovic Bourse
Montage : Benjamin Massoubre
Production : On Classics, Bidibul Productions, Align
Distribution : BAC Films
Ventes internationales : Charades
Sortie le 12 octobre

Soutien du CNC : Aide sélective à la distribution (aide au programme)