1901. Terre de Feu, République du Chili. Trois cavaliers sont engagés par un riche propriétaire terrien pour voler les terres des populations locales, ouvrir des voies commerciales et fonder une nouvelle nation dans le sang et l’argent. Le premier film du réalisateur chilien Felipe Gálvez Haberle est un western, à la fois semblable et différent des milliers qui l’ont précédé : un récit de colonisation, de génocide, de mensonge et d’avidité dans un territoire bien éloigné de l’Ouest américain.
Neuf ans de gestation
Quand Les Colons est présenté au Festival de Cannes 2023 dans la sélection Un Certain Regard, il ne sort pas de nulle part : son réalisateur porte son film depuis neuf ans, et la société Dulac Distribution a accepté de le distribuer avant même son tournage. « On est rentrés dans le projet sur scénario grâce à Thierry Lenouvel, de Ciné-Sud Promotion [société qui promeut les cinémas d'auteurs-ndlr], qui accompagne Felipe depuis très longtemps. Il nous a apporté le script en 2018 », explique Charles Hembert, directeur marketing et promotion de Dulac. « C’est un film qui a passé beaucoup de temps en gestation, à cause de son ambition, de son tournage en Terre de Feu, où il est assez difficile de tourner… » Boucler le budget des Colons a donc nécessité la réunion de huit pays : Chili, Argentine, France, Taiwan, Royaume-Uni, Danemark, Suède et Allemagne. Mais si la première étape de la promotion a bien eu lieu à Cannes, ce n’est pas à Un Certain Regard, mais quelques jours plus tôt, aux Rencontres nationales de l’Association française des cinémas d’art et d’essai (AFCAE), qui se tiennent juste avant le Festival. « On avait vu le film terminé quelques semaines auparavant, et on a décidé de le présenter aux Rencontres de l’AFCAE », raconte le directeur de la programmation Éric Jolivalt. Les premiers retours sont dithyrambiques : « On nous propose de présenter le film en ouverture, ce qui est inédit pour un distributeur de notre taille, continue Éric Jolivalt. Généralement, il s’agit de films distribués par Gaumont, Ad Vitam, Le Pacte… » La présentation des Colons lors de ces rencontres permet un premier contact entre le film et le réseau des salles « Art et Essai » français. Finalement, le film obtiendra le prix Fipresci à Cannes, ex æquo avec Levante de Lillah Halla et La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer.
Pourquoi une sortie à Noël ?
Décision est rapidement prise de sortir le film le 20 décembre : une date qui ne doit absolument rien au hasard, comme l’explique Éric Jolivalt. « On a choisi cette date en pensant à Godland. » Le film de Hlynur Pálmason, sur l’odyssée d’un prêtre danois dans l’Islande de la fin du XIXe siècle, était en effet sorti le 21 décembre 2022. Avec son traitement des grands espaces et son thème historique, Les Colons rejoint Godland, et le distributeur pense qu’il peut profiter du même créneau de sortie. « Les vacances de Noël sont une période normalement faible pour les films “Art et Essai”, mais elle permet aussi de tenir sur la longueur. Joyland de Saim Sadiq était sorti le 28 décembre de l’année dernière, et en avait également profité. Ces films ont eu des carrières très longues, qui leur ont permis de dépasser les 100 000 entrées », pointe encore le directeur de la programmation. Les vacances de Noël ne sont donc pas réservées aux films familiaux ou aux films à grand spectacle : Les Colons peut ainsi espérer trouver son public. « En octobre-novembre, nous savions que les gros films de la compétition cannoise sortaient. Si nous voulions accompagner le film comme on sait le faire – avec une forte valeur ajoutée pédagogique et patrimoniale –, il fallait le sortir pendant les vacances de Noël avec la possibilité de poursuivre son exploitation en janvier », précise Charles Hembert.
Créer l’affiche
Pour donner une première identité visuelle au film, l’affiche française est constituée de trois éléments : le titre, les trois cavaliers, la chaîne de montagnes à l’arrière-plan. « On a gardé la typo originale du titre, très forte, rouge, conçue par Felipe. Ça contraste avec le côté western classique de la photo. Cette photo est la première qu’on a partagée du film, pour une raison assez simple : c’est l’une des seules avec les trois personnages principaux, explique Charles Hembert. L’affiche internationale et celle de la plateforme Mubi, qui diffuse également le film, rajoutent une grosse trace de sang. Cela donne l’image d’un western à la Quentin Tarantino, très violent… On aurait pu nous aussi jouer davantage sur le genre, mais nous savions qu’en France, nous allions partir sur le réseau “Art et Essai”. Il fallait donner envie, mais sans effrayer. Et accentuer la dimension historique, et les images spectaculaires de la Terre de Feu. »
Une pédagogie
Le marketing – affiche et bandes-annonces – ne suffit évidemment pas à créer un film. Les Colons est un premier long métrage, sur lequel l’accompagnement pédagogique est crucial. Cela commence en festival, donc. Après Cannes, Les Colons est passé par Sarlat, Pessac, La Rochelle… En tout, une trentaine de festivals et/ou de rencontres. « Il fallait profiter des festivals d’été et d’automne pour faire grandir Les Colons en province, explique le directeur marketing. On espère que le film aura une première vie auprès d’un public plus généraliste, attiré par le côté western, et ensuite une deuxième vie, alimentée par le travail pédagogique. On avait réussi ça avec Chili 76, sorti en mars dernier, qui est le film latino-américain qui a fait le plus d’entrées en France en 2023. C’était aussi un premier film passé par Cannes qu’on a accompagné sur le temps long… » Le travail pédagogique autour du film semble nécessaire, tant l’histoire racontée par Les Colons – le génocide autochtone en Patagonie – n’a pas été traitée par la fiction, bien que le cinéaste chilien Patricio Guzmán l’évoque dans son magistral documentaire Le Bouton de nacre (2015). Si Les Colons provoque des débats au Chili, en France, l’histoire reste méconnue et nécessite un accompagnement, notamment grâce aux enseignants en espagnol et en histoire, comme le distributeur l’avait fait avec Josep (César du meilleur film d’animation en 2021) et le drame historique Les Sorcières d’Akelarre (2020). Dulac entend continuer ce travail pédagogique avec sa prochaine sortie, le film d’animation They shot the piano player, coréalisé par Fernando Trueba (L’Oubli que nous serons) qui sort le 31 janvier et raconte l’histoire d’un pianiste brésilien mêlé au coup d’État argentin de 1976. « Le travail pédagogique permet de donner au film une visibilité sur le temps long, à partir du moyen terme, affirme Charles Hembert. On l’a vu sur Chili 76 : à chaque fois que l’on fait l’effort de travailler ces aspects-là, les films tiennent plus longtemps en salles. »
Une distribution
À Paris, Les Colons peut s’appuyer sur le réseau de salles de Dulac Distribution : il sortira à l’Arlequin, l’Escurial, le Majestic Bastille, mais aussi à l’UGC Les Halles, au MK2 Beaubourg, MK2 Bibliothèque et Quai de Seine, aux Parnassiens Caumartin, au Cinéma des cinéastes… En tout, treize salles, dont les deux tiers « Art et Assai ». Le film s’adresse également au grand public : « On a une sortie à 89 % “Art et Essai” sur toute la France. Les labels permettent un élargissement vers les circuits », précise Éric Jolivalt, puisque le film a reçu les labels MK2 découverte et UGC Découvre.
Les Colons
Réalisation : Felipe Gálvez Haberle
Scénario : Felipe Gálvez Haberle, Antonia Girardi
Production déléguée : Ciné-Sud
Distribution : Dulac Distribution
Sortie en salles le 20 décembre 2023
Soutiens du CNC : Aide aux cinémas du monde avant réalisation, Aide à la création de musiques originales, Aide sélective à la distribution (aide au programme)