"Les Graines du figuier sauvage", récit d’un tournage entre urgence et secret

"Les Graines du figuier sauvage", récit d’un tournage entre urgence et secret

18 septembre 2024
Cinéma
Les Graines du figuier sauvage
Les Graines du figuier sauvage, prix spécial du jury - Cannes 2024 Pyramide

Jean-Christophe Simon, producteur et distributeur à l'international du nouveau film de l’Iranien Mohammad Rasoulof, Prix spécial du jury au Festival de Cannes cette année, revient sur la genèse, le tournage et le montage d’une œuvre exceptionnelle qui raconte la déchirure d’une famille sous une dictature.


Vous aviez déjà collaboré avec Mohammad Rasoulof sur son film précédent, Le diable n’existe pas, récompensé de l’Ours d’or à Berlin en 2020… Comment travaillez-vous ensemble ?

Jean-Christophe Simon : Nous collaborons depuis cinq ans, pourtant nous ne nous étions jamais rencontrés ! Mohammad Rasoulof ne pouvait pas quitter l’Iran, où il a été emprisonné. Notre collaboration a été très forte, très intense, assez exceptionnelle de ce côté-là. Les Graines du figuier sauvage est un film que je produis via ma société Parallel45. Je le distribue également à l’international avec Films Boutique, dont je suis le fondateur et le président. Nous connaissions toute l’équipe du film et toute la famille du cinéaste, mais n’avons rencontré Mohammad Rasoulof en personne que la veille de la première à Cannes cette année !

Comment communiquiez-vous ?

Je ne peux pas rentrer dans les détails, mais nous avions mis en place des outils spécifiques pour communiquer avec lui, notamment à travers sa société de production basée en Allemagne. Il y avait des canaux sécurisés, mais la communication était unilatérale : c’était exclusivement Mohammad Rasoulof qui nous appelait. Nous avions quand même les moyens de lui faire savoir quand nous avions besoin de le contacter… C’est fou de réaliser un film dans ces conditions.

Mohammad Rasoulof est un combattant, un opposant politique et surtout un artiste, qui veut continuer à faire des films.

Quelle est l’origine du film ?

Nous en avions parlé avant qu’il ne soit emprisonné. La production s’étale sur un temps long… À l’origine, nous étions sur un autre projet : un film clandestin sur la politique iranienne, mais l’incarcération de Mohammad Rasoulof l’a stoppé net. Mohammad Rasoulof a vécu le mouvement « Femme, Vie, Liberté » de l’intérieur de la prison : il n’en a entendu que les bruits et les échos. Cette révolte de la rue a donné de l’espoir aux prisonniers et en même temps a exercé sur eux une forme de fascination parce qu’ils n’en voyaient rien. Quand Mohammad Rasoulof est sorti de prison, il a pu rencontrer des personnes qui avaient vécu les évènements et s’en faire une meilleure idée. La liberté peut exister en dehors de la prison…

C’est ce que raconte le film, qui se déroule en grande partie en huis clos…

Oui, Mohammad Rasoulof y a mis beaucoup de son expérience de prisonnier, notamment sa relation personnelle avec les geôliers, qui se retrouve dans le personnage du père.

 

Comment s’est déroulée la préproduction du film ?

Mohammad Rasoulof m’a appelé en sortant de prison pour m’annoncer qu’il avait ce projet de film. Il voulait le faire rapidement car il pouvait être de nouveau incarcéré à tout moment. Nous en avons parlé à l’automne ; il risquait de retourner en prison au printemps d’après son avocat et sa connaissance du temps judiciaire iranien. C’est assez technique, mais les condamnations sont plus ou moins liées au film précédent. En somme, il savait qu’il allait être incarcéré dans le futur… Théoriquement, il n’avait que six ou sept mois pour tourner ce nouveau film. D’où la rapidité et l’urgence de la production. Nous avons tout mis en place très vite, travaillé sur le scénario et les financements. Les Graines du figuier sauvage a notamment été soutenu par le CNC via l’Aide aux cinémas du monde [cogérée avec l’Institut français – NDLR] : évidemment, ce soutien est important sur le plan financier mais on sait aussi qu’il s’agit d’une subvention qui inspire confiance aux autres partenaires. Elle donne au film une aura supplémentaire dans le reste du monde. C’est primordial. Nous avions besoin de flexibilité au regard d’autres projets plus « classiques ». Ce soutien a permis au film d’exister, tout simplement.

Et le tournage en Iran ?

Il a été entièrement géré par Mohammad Rasoulof. Beaucoup d’informations n’ont pas été transmises pour des raisons de sécurité. Seules quelques personnes étaient au courant du tournage… Le film a été tourné clandestinement dans des conditions inimaginables et tourné principalement en intérieur, dans des propriétés privées, à la tombée de la nuit ou au lever du jour. Mohammad Rasoulof a dirigé certaines scènes à distance par talkie-walkie. L’information était confidentielle, l’équipe était réduite car tout le monde prenait beaucoup de risques. Il a fallu ensuite faire sortir les images d’Iran. Tout pouvait s’arrêter, à tout moment. Le montage a été fait en parallèle. Mohammad Rasoulof allait très vite, non seulement à cause de la menace pénale qui pesait sur lui, mais également parce qu’il voulait finir le film pour le festival de Cannes. À l’époque, cela paraissait impossible !

Pourquoi projeter ce film à Cannes était-il un enjeu aussi crucial ?

Le Festival permettait de protéger l’équipe du film. De notre point de vue, c’est peut-être surprenant, mais le régime iranien n’aime pas qu’on expose médiatiquement ses travers dans d’autres pays. Il faut remercier Thierry Frémaux et le comité de sélection du Festival car ils ont été capables de se projeter : nous leur avons montré un film qui n’était pas fini. Le film terminé est arrivé à Cannes la veille de sa projection !

Tout pouvait s’arrêter, à tout moment. 

Début mai, Mohammad Rasoulof a été condamné de nouveau à de la prison, et s’est enfui d’Iran pour rejoindre Cannes. Comment avez-vous vécu ces événements ?

Les ministères des Affaires étrangères français et allemands nous ont beaucoup aidés pour faire venir les comédiennes et une partie de l’équipe du film à Cannes. Mais il y avait une grande inquiétude et incertitude sur la situation de Mohammad Rasoulof. De notre côté, nous étions toujours en plein montage et postproduction du film. Ça paraît fou, mais quand Mohammad Rasoulof parvenait à avoir dix minutes de connexion pendant son périple, il continuait à travailler sur le montage, à donner des directives – alors que nous avons appris par la suite qu’il se trouvait en pleine montagne, à 4 000 mètres d’altitude ! Mohammad Rasoulof est un combattant, un opposant politique et surtout un artiste, qui veut continuer à faire des films. Nos vies françaises sont relativement simples, en comparaison. Après tous ces mois de travail, l’accueil fait aux Graines du figuier sauvage et à Mohammad à Cannes a été la plus belle des récompenses. Mohammad Rasoulof a pu voir son film sur grand écran, en présence du public et d’une partie de son équipe – il n’a jamais pu voir Le diable n’existe pas dans une vraie salle de cinéma…

les graines du figuier sauvage

Affiche du film Pyramide
Scénario et réalisation : Mohammad Rasoulof
Production : Parallel45
Coproduction : ARTE France Cinéma, Run Way Pictures
Distribution France : Pyramide
Ventes internationales : Films Boutique
Sortie en salles : 18 septembre 2024