L’histoire des studios Idéfix

L’histoire des studios Idéfix

16 juin 2021
Cinéma
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Les studios Idéfix sont lancés en 1974 par Goscinny, Uderzo et l'éditeur Georges Dargaud.
Les studios Idéfix sont lancés en 1974 par Goscinny, Uderzo et l'éditeur Georges Dargaud. DR

Dans les années 1970, Uderzo et Goscinny décident de se lancer dans l’animation. Les studios Idéfix naissent en 1974… et plus rien ne sera comme avant. Cette naissance est l’une des dates clé de l’exposition d’Annecy, « Bonjour l’animation !  60 ans d’images animées »


1er avril 1974. Au 16 de la rue Guillaume Tell, dans le XVIIème arrondissement de Paris, René Goscinny, Albert Uderzo et l'éditeur Georges Dargaud donnent le coup d’envoi des studios Idéfix. C’est la concrétisation d’un projet totalement fou : créer, en France, un studio d’animation susceptible de rivaliser avec les superproductions de Walt Disney dans les salles européennes. Goscinny, toujours tiré à quatre épingles, avenant et très poli, est désormais à la tête d’une structure d’une cinquantaine de salariés, animateurs, gouacheurs et assistants. Ce rêve a été murement réfléchi et les trois hommes ont conçu un plan qui est bien plus qu’une simple folie. Ils ont imaginé un véritable précis industriel qui doit permettre de propulser leur structure au sommet de l’animation européenne. 

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Goscinny est le moteur du trio. Il a embarqué son ami Uderzo et son éditeur Dargaud dans l’aventure. Ce sont les trois patrons des studios Idéfix. A l’origine de ce projet on trouve une douloureuse insatisfaction : Goscinny et Uderzo n’avaient pas apprécié les premiers dessins animés inspirés des aventures d’Astérix et Obélix et réalisés par les Bruxellois du studio BelVision. Astérix le Gaulois n’est pas, pour eux, à la hauteur de leur travail. Les deux créateurs avaient même décidé de stopper la production de La serpe d’or qui avait déjà commencé chez BelVision. Pour ne pas tout compromettre, ils choisissent tout de même de s’impliquer sur le film suivant, Astérix et Cléopatre. Ils écrivent le scénario, invitent Pierre Tchernia à participer à la confection du film… Pourtant, là encore, le résultat final n’est pas probant et c’est pour contrôler le processus de production de A à Z que Goscinny et Uderzo lancent donc Idéfix. 

Il ne s’agit pas que d’une vision artistique. Goscinny va immédiatement imposer sa vision d’un patronat humaniste et patriarcal : il ne veut que des salariés, pas d’intermittents, à qui il offre un environnement propice à l’expression artistique et qui seront payés correctement. Mieux : en accord avec la chambre de commerce et d’industrie de Paris, les studios font créer à la prestigieuse école des Gobelins la filière animation, promettant aux jeunes diplômés un emploi chez Idéfix une fois leurs études terminées. 

Quand vient le temps de lancer la première production, là encore, les trois entrepreneurs décident de ne pas se reposer sur leurs lauriers. Goscinny veut écrire un scénario original pour le premier film made in Idéfix. Ce sera Les douze travaux d’Astérix. Dès 1974, toute l’équipe se met à travailler sur ce premier projet. Désireux d’internationaliser son savoir-faire, Goscinny s’offre les services, pour l’animation de quelques scènes, des studios de l’Anglais John Halas – créateur de la série Animal Farm considéré depuis comme le père du cartoon britannique. Concrétisant un vieux rêve, il fait aussi venir un Américain, Bob Maxfield, passé chez Disney. Il pioche enfin dans le vivier de l’animation Danoise, techniquement l’une des plus réputées : Borge Ring, génial animateur qui obtiendra un Oscar en 1985 pour son court métrage Anna & Bella, rejoint l’aventure. En plus d’avoir créé une filière de recrutement via leur partenariat avec les Gobelins, les studios Idéfix rayonnent désormais à l’international. Les douze travaux d’Asterix sort finalement le 20 octobre 1976. Et si le résultat en France est un peu décevant, c’est un triomphe en Allemagne : plus de 7 millions d’entrées. Essai transformé. 

La (plus très) petite entreprise

Environ six mois séparent la fin du travail sur Les douze travaux et le début de La ballade des Dalton, le second long métrage des studios. Pour combler ce temps de latence, Uderzo va tenter de rationnaliser l’organisation de ses équipes. Il demande à ses animateurs de travailler sur d’autres projets que ses films d’animation. Il fait entrer les studios Idéfix dans le monde de la publicité, en réalisant des spots notamment pour Carrefour ou Panzani. Un pilote d’animation pour la télévision, Un chien vaut mieux que deux tu l’auras, avec Idéfix en héros de fables morales de 5 minutes, est également lancé. Derrière cette course aux projets, l’objectif de Goscinny est simple : faire de ses studios une structure pérenne et diversifiée, où des salariés travaillent sur tout type de projet. Goscinny crée en fait l’animation française à grande échelle, industrialisée, après des décennies d’artisanat avec Paul Grimault (Le roi et l’oiseau) et Jean Image (Aladin et la lampe merveilleuse, 1970).

Le second projet est enfin lancé à la fin de l’année 1976. Avec La ballade des Dalton, Lucky Luke a lui aussi droit à une histoire originale. Le travail avance normalement jusqu’à ce week-end de novembre 1977 où René Goscinny meurt d’un accident cardiaque. C’est par la radio que les animateurs apprennent le décès de celui qui pour certains est devenu un père de substitution. 

Les studios Idéfix ne survivront pas au décès de René Goscinny – Dargaud et Uderzo ne souhaitant pas continuer l’aventure. Ils ferment le 1er avril 1978, alors que La Ballade des Dalton n’est même pas sorti en salles – l’exploitation du film commence le 24 octobre, et son box-office final s’élève à 1 447 768 entrées. Disparus, les studios Idéfix ont laissé un vide énorme, mais l’héritage est colossal. Sans Goscinny, le festival d’Angoulême n’existerait pas ; la filière d’animation française ne serait pas aussi réputée (à Hollywood et ailleurs), et notre rapport au 9ème art serait sans doute moins fusionnel. Surtout, la volonté de développer une filière animation continuera bien après le décès de Goscinny. De ce premier essai, naitront de nombreux studios (Ciné-Vision, La Fabrique, Folimage, Les Armateurs, Xilam…). 

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On comprend mieux dès lors le surnom que lui avait donné son grand ami Gotlib : Walt Goscinny. En France, un créateur s’était rêvé, le temps de quelques années fulgurantes, l’équivalent du modèle américain : un patron de studio, un vrai.