Tout commence par une rencontre entre les membres d’un ciné-club savoyard extrêmement actif et l’équipe des Journées du cinéma. Nous sommes en 1956, à Cannes, et les patrons du ciné-club, Henry Moret et Georges Gondran, assistent à la première édition des Journées internationales du cinéma d’animation (Jica), qui se déroulent en marge de la Croisette. Frappés par la qualité des films proposés, ils évoquent alors l’idée d’implanter à Annecy un festival dédié uniquement à l’animation. La ville semble parfaite : son public est cinéphile, il y existe un théâtre-casino où projeter les films, et sa proximité avec l’aéroport de Genève la rend facile d’accès. Loin du tumulte cannois, Annecy est un écrin de choix.
Le conseil municipal vote l’accueil de la manifestation et dès 1960, la troisième édition des Jica devient compétitive et quitte les Alpes-Maritimes pour rejoindre la Haute-Savoie. Le festival d’Annecy est officiellement né. La sélection propose déjà plusieurs catégories : outre la compétition des courts métrages et des séries TV, des films publicitaires, éducatifs ainsi que des œuvres de commande (dont une animation vantant les mérites de la machine à coudre Necchi) sont projetés. Preuve que l’animation reste, dans ces années-là, étroitement liée à la « réclame ». Mais le Cristal d’Annecy est remis au Lion et la Chanson de Bretislav Pojar. Aux côtés de Karel Zeman et de Jirí Trnka qui fut son maître, Pojar est l’une des grandes figures de l’animation tchèque (qui domine l’animation mondiale de l’époque). S’il fut consacré dès les années 50 par le Festival de Cannes et celui d’Edimbourg, son triomphe à Annecy va définitivement lancer le festival. C’est la marque qu’Annecy ne sera jamais qu’un simple festival local : dès les origines, son ambition est mondiale.
Progressivement, le regard et les ambitions du public et des professionnels du 7e art évoluent : le cinéma d’animation commence à s'institutionnaliser et Annecy accompagne déjà cette évolution majeure. L’association internationale du film d’animation (Asifa) voit parallèlement le jour, donnant encore plus d’importance à son festival dédié… Afin d’éviter la concurrence, le festival est bisannuel et se déroule les années impaires dès 1963 - il faudra attendre septembre 1997 pour que le conseil d’administration vote l’annualisation, qui sera effective en 1998. L’offre s’étoffe, les festivaliers découvrent une programmation pointue, mais aussi des rétrospectives, des expositions et des invités spéciaux.
Après quelques coups durs - l’annulation de 1969 -, Annecy continue à se développer dans les années 70 (de plus en plus de spectateurs et de professionnels ; une dimension patrimoniale forte, notamment à travers des expositions au Musée-Château).
1980-2000 : Une croissance ininterrompue
Après l’élection présidentielle de 1981 et la volonté du nouveau gouvernement de mettre en place une politique de décentralisation, le festival évolue encore sous l’impulsion l’Asifa, alors que le CNC accompagne le mouvement. Le secrétariat permanent passe de Paris à Annecy et un comité de sélection international est mis en place. Un ancrage local pour une visée internationale.
L’édition de 1983, importante à plus d’un titre, se déroulera dans le centre culturel Bonlieu tout juste sorti de terre. Son emplacement central et la disponibilité de plusieurs salles permettent de projeter simultanément différents films. C’est également le début d’une sorte de marché du film qui ne dit pas son nom, mais qui prend en compte l’aspect économique de l’animation. La compétition s’ouvre aux films de commande, Annecy rayonne. L’année d’après naît officiellement le Marché international du film d’animation (Mifa), organisé conjointement par le Cica et l’agence Octet. Objectif : faciliter les discussions entre les films en compétition et les distributeurs. Le marché de l’animation en France ne cesse de grandir, et Annecy impulse le rythme.
Les studios américains comprennent vite qu’ils ont intérêt à miser sur ce festival singulier. En 1985, neuf films Disney oscarisés sont ainsi projetés. La Warner débarque deux ans plus tard, et Disney s’impose un peu plus en 1989 avec la présence d’une délégation importante. La firme restera fidèle à Annecy et participera à lui donner un écho important de l’autre côté de l’Atlantique.
De 1983 à 1997, la croissance est impressionnante et passe de 900 personnes accréditée à 4 300 ; de 386 films présentés à 1 271 ! La couverture médiatique explose, alors que la technique de l’animation évolue et permet de réaliser des films de plus en plus vite. En septembre 1997, il est décidé que le festival sera annuel, afin de répondre au volume de production et au besoin d’un marché du film plus régulier.
Les années 2000-2020 : une ampleur confirmée
Les années 2000 confirmeront l’ampleur d’Annecy, qui ne cesse de voir sa couverture médiatique et le nombre de ses accrédités (encore) augmenter. Et en 2006, la fusion des associations Cica et Pumma donne naissance à un établissement public de coopération culturelle (EPCC) nommé CITIA, dirigé par Patrick Eveno. Trois axes sont développés : culture, formation et économie. Une trentaine de personnes font vivre CITIA et s’occupent notamment de l’organisation du festival d’Annecy et du Mifa. Des studios comme Illumination Mac Guff, Laika ou Method Animation sont de plus présents, et en 2013 arrive un nouveau directeur artistique, Marcel Jean, depuis pilier du festival.
Les éditions récentes de la manifestation savoyarde ont été l’occasion de beaux succès pour les studios d’animation français. Sur les douze derniers films lauréats d’un Cristal du long métrage, sept ont bénéficié d’une production (ou coproduction) française. C’est d’ailleurs le cas des trois derniers primés : J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin, en 2019, le film franco-danois Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary de Rémi Chayé, en 2020, et enfin, Flee, le documentaire animé de Jonas Poher Rasmussen, coproduit par le Danemark, la France, la Norvège et la Suède en 2021.
L’autre grande histoire de la dernière décennie du festival d’Annecy est celle du développement des expériences numériques et immersives. Notamment avec la création, en 2016, du pôle XR@Annecy dédié aux œuvres de « réalité étendue » (XR) utilisant les techniques de l’animation. À partir de là, le festival inclue la présentation d’œuvres de VR (réalité virtuelle). Dès l’édition suivante, en 2017, il intègre une catégorie compétitive au sein de la sélection officielle. Arnaud Miquel, coordinateur de XR@Annecy, prophétise : « d’ici à quelques années, 100 % de la réalité virtuelle sera faite en animation ». Les derniers primés du Cristal de la meilleure œuvre VR témoignent déjà du mariage heureux entre VR et animation. C’est le cas du projet franco-argentin Gloomy Eyes de Jorge Tereso et Fernando Maldonado, un conte animé immersif à l’univers gothique proche de Tim Burton récompensé en 2019, mais aussi de celui de Raqi Syed et Areito Echevarria, Minimum Mass, une œuvre franco-néo-zélandaise, produite par Floréal Films, qui explore la psyché de parents ne pouvant avoir d’enfants.
En 2021, Annecy a fêté ses 60 ans sous la forme d’une édition hybride, avec une année de retard, après une édition 2020 tenue uniquement en ligne. Celle de 2022, du 13 au 18 juin, constitue un retour à la normale. Si 1960 paraît loin, l’esprit du festival originel, lui, reste intact.