Vous étiez déjà présents aux côtés de Payal Kapadia pour son premier film, Toute une nuit sans savoir. Où et comment l’aviez-vous rencontrée ?
Thomas Hakim : Au festival de Berlin en 2018, alors que nous étions en train de créer petit chaos. C’est là que j’ai découvert son court métrage documentaire And What Is the Summer Saying. Un film hypnotisant qui m’a fasciné, pourtant je ne connaissais rien de l’Inde. Je suis sorti de la salle avec la certitude que je devais travailler avec cette réalisatrice. J’ai donc provoqué la rencontre. Payal Kapadia était encore étudiante. Plus que de projets futurs, nous avons parlé de cinéma en général. Et ce d’autant plus que nous n’avions rien de concret à lui proposer. J’avais juste produit un court métrage et Julien travaillait encore chez Ecce Films comme directeur financier. Mais cette discussion n’allait jamais s’interrompre.
Payal Kapadia va finir par donner naissance à Toute une nuit sans savoir. Comment ce projet s’est-il construit ?
T.H : En fait, le premier projet de long métrage dont Payal nous parle de manière concrète, pile un an après, à la Berlinale 2019, c’est All We Imagine as Light qu’elle a déjà en tête. À partir de là, elle vient passer du temps à Paris, nous nous voyons beaucoup, nous nous échangeons des films à regarder avant de commencer à travailler concrètement sur le film.
Comment vous a-t-elle présenté All We Imagine as Light ?
T.H : Elle nous a expliqué que cette idée était née de sa propre expérience : une infirmière s’occupait de sa grand-mère tous les jours, alors qu’elle vivait chez elle avec sa mère. C’est ainsi qu’est née l’histoire de ces deux infirmières. Quand elle nous en parle, elle a déjà un traitement où les deux parties du film, la première à Mumbai, la seconde à la campagne, sont déjà présentes. Mais elle ne cessera jamais de travailler sur ce scénario y compris entre les deux parties de son tournage. Durant tout ce temps, elle a continué à se nourrir du réel : ses rencontres avec de nombreuses infirmières pendant l’écriture, comme la complicité entre ses comédiennes qui lui avait sauté aux yeux dans la première partie du tournage et sur laquelle elle voulait s’appuyer pour la suite. Je pense que nous n’avons jamais eu de scénario définitif ! (Rires.)
Comment Toute une nuit sans savoir apparaît alors dans cette aventure ?
T.H : Très vite, nous expliquons à Payal que la production de All We Imagine as Light va prendre du temps et nous lui demandons si, en attendant, elle n’a pas d’autres envies. Là, elle nous parle d’images qu’elle a tournées quand elle était étudiante, un matériau très intime dont elle a envie de faire quelque chose. Et puis, un jour, alors que nous travaillons sur le scénario de All We Imagine as Light, elle me montre la maquette de ce qui deviendra la première séquence de Toute une nuit sans savoir, avec ces étudiants qui dansent (qu’elle avait filmés pendant les manifestations ayant suivi la nomination d’un acteur sympathisant du parti nationaliste à la tête de l’Institut du cinéma) et sa voix off qui accompagne ces images. Ce langage nous a parlé immédiatement. Nous nous sommes donc lancés dans ce documentaire sur lequel Payal travaillait depuis un petit moment avec son compagnon et directeur de la photographie Ranabir Das. Nous l’avons financé en un an et demi, et terminé juste à temps pour le présenter à Cannes où il a été sélectionné.
Toute une nuit sans savoir a reçu l’Œil d’or du meilleur documentaire 2021, toutes sections confondues. Aviez-vous commencé bien avant ce prix à travailler sur le financement de All We Imagine as Light ?
T.H : Oui et nous avions tout de suite eu deux très bons signaux que nous n’attendions pas forcément. Nous nous sommes retrouvés finalistes des Prix du Scénario et les sélectionneurs du Prix Gan nous ont dit qu’ils avaient adoré le projet, même si c’était un peu tôt pour eux. Puis quand l’aventure de Toute une nuit sans savoir s’est accélérée, nous avons momentanément mis de côté All We Imagine as Light, avant de le relancer.
Julien Graff : Assez rapidement, nous avions déposé le projet de All We Imagine as Light au Hubert Bals Fund, ainsi qu’à l’Aide au codéveloppement international de Ciclic Centre-Val de Loire. Obtenir de l’argent de ces deux guichets nous a permis de sécuriser le projet, avant de trouver un appui financier supplémentaire au marché de coproductions de Rotterdam. Nous avons ensuite rencontré Zico Maitra, un producteur indien trouvé par Payal, dont l’importance n’a cessé de grandir.
T.H : Le tournage s’est déroulé avec une équipe presque exclusivement indienne, à part pour l’équipe son qui était française. Payal tenait à préserver cette fabrication locale et à ne pas l’abîmer par le système de coproductions qui impose parfois artificiellement des techniciens de telle ou telle nationalité.
J.G : Nous sommes venus avec notre expérience de fabrication « artisanale » de films à petit budget alors que Zico avait son réseau à Mumbai où, jeune producteur de publicités, il a le vent en poupe depuis quelques années. Nous sommes donc sortis un peu des clous par rapport aux tournages indiens classiques qui sont bien plus pléthoriques.
Comment avez-vous poursuivi la recherche de financement ?
T.H : Payal a cette capacité à toujours questionner son scénario. La scénariste Catherine Paillé (Shéhérazade, Le Sixième Enfant…) est ainsi venue faire quelques consultations ; un regard extérieur plus que bienvenu. En décembre 2021, nous avons déposé à nouveau le projet avec cette version affinée du scénario. Le film est alors passé en plénière partout (ARTE, la Fondation Gan, le CNC…) et nous avons passé les oraux pile au moment où Toute une nuit sans savoir sortait en salles. C’est aussi le moment où Condor a lu le script et a décidé de distribuer le film, où nous avons monté des coproductions avec les Pays-Bas et le Luxembourg, ce qui nous a permis de présenter le film au Fonds Eurimages que nous avons décroché. Par ailleurs, Lux Box s’est engagé pour les ventes internationales.
Qu’est-ce qui vous a frappé dans la manière d’être de Payal Kapadia sur le plateau ?
T.H : Ce mélange entre une grande capacité d’écoute et son immense conviction sur les choses. Elle sait ce qu’elle veut mais est toujours ouverte à la discussion. Un mois et demi séparait les deux parties du tournage. Nous étions un peu bloqués par les fêtes de Diwali [les plus importantes fêtes de l’année en Inde, NDLR], or nous voulions mettre en boîte la deuxième partie avant qu’elles débutent. Entre les deux, Payal a commencé le montage sur place avec une monteuse française. Mais il y avait vraiment trop de choses à faire dans un délai aussi court pour que ça fonctionne.
C’est Clément Pinteaux qui est finalement crédité au montage. Quand est-il arrivé sur le projet ?
T.H : Clément avait déjà travaillé sur Toute une nuit sans savoir comme consultant. Payal et lui se connaissent depuis la Berlinale 2018 car il y avait présenté un court métrage, Des jeunes filles qui disparaissent, qu’il avait réalisé. Tous deux avaient aimé leurs films respectifs. Payal voulait le retrouver sur All We Imagine as Light mais il y a eu au départ une incompatibilité de calendrier car il était engagé sur L’Effacement de Karim Moussaoui.
J.G : Une fois la deuxième partie du tournage terminé, Payal a poursuivi son montage à Paris avec Ranabir Das.
T.H : Mais cette première version ne fonctionnait pas. Aussi, quand Clément a fini L’Effacement, nous l’avons tout de suite appelé. Il a accepté de nous rejoindre et, en trois semaines, lui et Payal ont trouvé le film. Il manquait ce regard extérieur au projet, mais avec une connaissance du cinéma de Payal. Ils avaient une confiance totale l’un en l’autre.
Le film s’est-il beaucoup vendu à l’international avant Cannes ?
T.H : Oui, de nombreux distributeurs s’étaient engagés avant que le film soit découvert au Festival. Puis tout s’est accéléré après la projection, avant même qu’il ne décroche le Grand Prix.
Travaillez-vous déjà sur un autre projet avec Payal Kapadia ?
T.H : Oui, même si ce projet reste très embryonnaire pour le moment, nous savons que notre aventure commune va continuer. Nous sommes vraiment heureux d’avoir grandi ensemble. En six ans, nous avons sorti deux films. Payal a donc besoin de temps et une fois qu’elle aura accompagné All We Imagine as Light dans les différents pays où il sort jusqu’en décembre, elle veut retourner en Inde pour trouver de l’inspiration et se documenter avant de revenir en France pour écrire.
Comment définiriez-vous l’ADN de petit chaos ?
J.G : En nous lançant, nous n’avions pas d’idée préconçue. Tout s’est construit au fur et à mesure. Projet par projet, au coup de cœur, avec notre envie commune de le partager avec une réalisatrice ou un réalisateur.
T.H : Tout part de la rencontre avec des gens, avec des univers d’auteurs dont nous avons envie d’être les premiers spectateurs de leur prochain projet.
J.H : Thomas et moi nous nous sommes rencontrés un an avant la création de petit chaos. Tout s’est donc fait de manière assez naturelle et spontanée.
T.H : Une chose est sûre : on ne réfléchit pas en termes de case.
ALL WE IMAGINE AS LIGHT
Réalisation et scénario : Payal Kapadia
Photographie : Ranabir Das
Montage : Clément Pinteaux
Musique : Topshe
Production : petit chaos
Distribution : Condor Distribution
Ventes internationales : Luxbox
Sortie le 2 octobre 2024
Soutiens du CNC : Aide aux cinémas du monde avant réalisation, Aide sélective à la distribution (aide au programme 2024), Aide sélective à l'édition vidéo (aide au programme éditorial 2024)