Pierre Salvadori : « Quand on dirige des enfants, il faut être tout le temps sur le qui-vive »

Pierre Salvadori : « Quand on dirige des enfants, il faut être tout le temps sur le qui-vive »

19 juillet 2022
Cinéma
« La Petite Bande » de Pierre Salvadori.
« La Petite Bande » de Pierre Salvadori. Roger ARPAJOU/LES FILMS PELLÉAS/GAUMONT/FRANCE 2 CINÉMA/TOVO FILMS

Dans La Petite Bande, Pierre Salvadori raconte les 400 coups d’un groupe d’enfants d’une douzaine d’années, fomentant un plan pour faire sauter l’usine qui pollue leur village. Pour le CNC, il raconte les coulisses de son premier film destiné à un jeune public et son travail avec les jeunes interprètes.


Pour la première fois, des enfants sont les héros d’un de vos films. Qu’est-ce qui vous en a donné l’idée et l’envie ?

Avec mon complice Benoît Graffin, nous écrivions un long métrage sur le monde du travail, autour d’un formateur filmé comme un héros qui allait de ville en ville. Malgré nos efforts, nous n’arrivions pas à un résultat satisfaisant. Et puis, un jour, une de nos discussions a bifurqué vers le terrorisme. Je lui disais que la nouvelle vague de terrorisme serait écologiste : des groupes armés qui kidnapperaient des patrons comme dans les années 70. J’ai toujours été surpris de voir les gens accepter de regarder leur monde se dégrader sans vraiment réagir. Il se trouve que peu après, j’ai lu ce livre que m’avait recommandé le comédien Nicolas Bouchaud, La Violence oui ou non : une discussion nécessaire (Elsa Petit, Guillaume Plas et Günther Anders), publié en 1986, alors que l’accident nucléaire de Tchernobyl venait de se produire. Ses auteurs y expliquaient que la violence en réponse à cette catastrophe était légitime, car l’humanité avait le droit de se révolter contre le tort qui lui avait été fait.  

C’est ce livre qui vous a fait bifurquer vers un autre projet ?

Oui, car de là est née l’idée d’une histoire autour d’une bande de terroristes un peu maladroits qui décideraient de faire sauter une usine. Sauf que j’ai déjà beaucoup écrit ce type de personnages adultes. Et une nuit, j’ai eu comme un flash : et si des enfants décidaient, soudain, de passer à l’acte. À partir de là, le projet a commencé à beaucoup nous intéresser, Benoît et moi. Avec, en creux, l’idée d’un film dont les personnages passeraient de l’enfance à l’adolescence, donc de l’insouciance à la conscience. Un récit où ils allaient apprendre à prendre des décisions, à se poser des questions profondément morales et politiques, à commencer par celle-ci : a-t-on le droit d’être violent pour une cause qu’on juge essentielle ? Le champ des possibles qui s’ouvrait à nous était incroyable. Petit à petit, nous en sommes venus à l’idée de la bande, de la beauté de se constituer en groupe qui vous fait réfléchir, vous apprend à vous élever ou encore à vous dépasser quand le collectif devient plus important que l’individu. Il y avait de quoi faire un film « hawksien » où la chose la plus importante est d’apprendre à vivre ensemble. Mais surtout pas un film à l’eau de rose. Car le groupe amène aussi les tensions, les trahisons, la manipulation… l’ivresse d’aller trop loin. 

« Le groupe amène aussi les tensions, les trahisons, la manipulation… l’ivresse d’aller trop loin. »

Est-ce plus compliqué d’écrire des dialogues pour des enfants que pour des adultes ?

Avec Benoît, on a écrit ce scénario en étant très théoriques, en se posant plein de questions pour ne pas tomber dans le film militant ennuyeux, trop démonstratif. Mais pour ce qui est des dialogues, il se trouve que j’ai des enfants qui avaient l’âge des personnages au moment où l’on écrivait. Je sais donc comment ils parlent. À partir de là, on construit forcément un peu plus les dialogues par rapport à un langage du quotidien, mais je voulais surtout éviter que les personnages parlent comme dans des livres. 

La Petite Bande de Pierre Salvadori  Roger ARPAJOU/LES FILMS PELLÉAS/GAUMONT/FRANCE 2 CINÉMA/TOVO FILMS

Comment s’est déroulé le processus de casting pour former cette petite bande à l’écran ?

Avec la directrice de casting Elsa Pharaon, on a demandé à chaque enfant de répondre à une sorte de questionnaire de Proust : quels sont tes héros dans la vie ? Dans la fiction ? Jusqu’où serais-tu prêt à aller pour une cause qui te tient à cœur ? Et, à partir de leurs réponses, nous avons sélectionné ceux qui nous semblaient avoir le plus de personnalité. On leur a fait prendre la parole puis travailler les textes. Là, on a pu déceler ceux qui, au bout de deux prises, s’énervaient et que je ne pourrais pas diriger. Mais il fallait aussi voir si, au-delà du talent des uns et des autres, ils allaient être capables de s’entendre. C’est ainsi qu’on est parvenu à cette petite bande de cinq qu’on retrouve à l’écran. Et on peut parler de petit miracle. Car tout est très écrit, il n’y a pas d’improvisation dans ce film.

Une fois ce choix effectué, êtes-vous passé par un atelier de travail pour les préparer avant le tournage ?

Non, car j’ai toujours peur de réussir à capter des choses que je ne retrouverai pas ensuite sur le plateau. Je leur ai fait jouer quelques scènes, mais uniquement pour savoir si j’allais être capable de les diriger, pas plus. Et je vais être honnête : au bout de vingt minutes, j’ai senti l’enfer que ça allait être, car ils avaient du mal à se concentrer. Donc je me suis arrêté pour ne pas m’imposer cette épreuve à ce moment de l’aventure, ça allait être le travail du tournage. De toute façon, j’avais déjà vu l’essentiel : leur capacité à entendre ce que je disais. Je leur ai juste demandé de regarder des films qui ont été des sources d’inspiration pour moi : des Lubitsch et Stand by Me (1986) de Rob Reiner.

Avez-vous aussi vérifié leur capacité à s’entendre tous ensemble ?

Oui, mais ça fait aussi partie intégrante de mon travail. Pour ce que ces enfants s’entendent, il faut leur donner des sortes de leçons de vie. Dès notre premier jour, je leur ai ainsi expliqué qu’ils allaient sans doute devoir parfois se forcer à s’aimer. Mais que cela allait leur permettre d’être heureux pendant deux mois et demi.

« Je suis certain que ces enfants en sont sortis un peu plus grands, un peu plus heureux. »

Avez-vous vécu ces moments de symbiose sur le plateau ?

Oui, ils sont devenus une troupe à l’instar de leurs personnages. À partir de là, j’ai pu revenir avec eux à la source du jeu. Leur apprendre le rythme. Leur faire comprendre qu’il ne suffit pas de ressentir une émotion, il faut pouvoir la retransmettre aux spectateurs. Qu’il ne faut pas parler trop vite, ou encore, qu’il faut mettre sa pudeur de côté. J’étais tout le temps avec eux, afin de leur montrer qu’il fallait donner, habiter le plan. Je peux vous dire que j’ai fini chaque journée aphone. Mais ça a été un tournage extraordinairement gratifiant. Je suis certain que ces enfants en sont sortis un peu plus grands, un peu plus heureux. De mon côté, en tant qu’adulte, je me suis rendu compte à quel point on peut apporter à des enfants. Je ne suis plus le même avec les miens depuis. Mais pour cela, il fallait tenir une sacrée forme ! J’ai toujours en moi cette image de Spielberg en train de diriger le petit Henry Thomas sur le plateau d’E.T. en lui expliquant tout dans les moindres détails, mais aussi les mots de François Truffaut expliquant qu’il laisse toujours les enfants faire ce qu’ils veulent, car au fond on ne peut pas les diriger.

 

Quelle option avez-vous choisie ? 

J’ai vite compris que j’allais devoir aller du côté de Spielberg (Rires). C’est pour cette raison que je finissais mes journées totalement aphone. Je ne lâchais rien. Les premiers jours, par exemple, je voyais qu’ils n’osaient pas jouer. Donc je me suis lancé. Je me suis mis à quatre pattes, j’ai commencé à pleurer et à crier… Je me suis dit que si je ne me tournais pas moi-même en ridicule, si je ne mettais pas ma pudeur de côté, il n’allait rien se passer, ils allaient rester coincés. J’ai vu leurs regards sidérés et ça a débloqué les choses. Mais il faut être tout le temps sur le qui-vive. Car, il n’y a rien de pire qu’un enfant qui joue faux, le spectateur décroche dans la seconde et prend soudain conscience que l’acteur est filmé. Ça donne le sentiment qu’on force l’émotion et le charme s’envole. Or, dans ce film, tout devait être naturel, quand bien même tout était très écrit. Cela a nécessité un travail de dentelle tout au long du processus, jusqu’au dernier jour de montage.

Pensez-vous que cette expérience inédite exercera une influence sur vos films suivants ?

J’en suis certain, car jusqu’ici ça a toujours été le cas pour moi. Je sais ainsi que j’ai mieux filmé la comédie après avoir réalisé un polar très noir, Les Marchands de sable (2000), où j’avais énormément découpé les choses. Cette expérience m’a appris à avoir la même patience dans le domaine de la comédie. Car une comédie, plus elle est découpée, plus elle est sophistiquée, plus elle va toucher les gens, plus elle aura de la substance et de la force. Tout cela prouve au fond que mon métier est un artisanat. En ce moment, j’ai envie de tourner vite, car j’ai la sensation que je commence enfin à comprendre certaines choses qui m’échappaient et que je me sens encore assez fort physiquement pour en être capable.

LA PETITE BANDE

Réalisation : Pierre Salvadori.
Scénario : Pierre Salvadori et Benoît Graffin.
Photographie : Julien Poupard.
Montage : Isabelle Devinck.
Musique : Pierre Gambini.
Production : Les Films Pelléas, Tovo Films, France 2 Cinéma. 
Distribution : Gaumont. 
Ventes internationales : Wild Bunch. 
Sortie le 20 juillet 2022.

Soutien du CNC : Avance sur recettes avant réalisation.