Urban Factory a été créée en 2011. Comment définiriez-vous son ADN ?
Frédéric Corvez : Tout est parti d’Urban Sales, société de vente internationale et première structure que j’ai créée il y a vingt ans. Au fil du temps, on a investi en coproduction avant de devenir régulièrement coproducteur délégué. Le jour où on a commencé à prendre des risques plus élevés, j’ai décidé de créer une structure ad hoc, afin qu’une activité ne puisse pas nuire à l’autre. Voilà pourquoi, pour répondre plus précisément à votre question, l’ADN d’Urban Factory est très largement orienté vers l’international avec cette envie de faire des films qui s’exportent. On fait du cinéma d’auteur. Des films de réalisateurs. Des premiers et des seconds longs métrages, tous genres confondus, ainsi que des documentaires, mais toujours pour le grand écran.
Maéva Savinien : J’ai pour ma part rejoint la société il y a quatre ans et demi. Avant ça, j’habitais Shanghai où j’ai passé les vingt premières années de ma vie. Il se trouve qu’on accompagne aujourd’hui beaucoup de films en coproduction avec l’Asie, dont celui de Zoljargal Purevdash.
Si seulement je pouvais hiberner met en scène Ulzii, un ado vivant dans un quartier défavorisé d’Oulan-Bator, déterminé à gagner un concours de sciences pour obtenir une bourse d’études et sortir de sa condition, au moment où sa mère illettrée trouve, elle, un emploi à la campagne. Elle doit abandonner Ulzii, son frère et à sa sœur, ce qui oblige le garçon à se mettre en danger pour subvenir aux besoins de la fratrie. Comment vous retrouvez-vous à coproduire ce premier film de Zoljargal Purevdash ?
F.C : J’ai rencontré Zoljargal [Purevdash] en janvier 2017. J’étais invité par le festival Tokyo Filmex qui organisait un atelier de coproduction en partenariat avec la Berlinale. Nous étions donc plusieurs experts européens et asiatiques à passer une semaine à lire et accompagner des projets de jeunes réalisatrices et réalisateurs essentiellement asiatiques. Et parmi eux, il y avait Zoljargal à qui j’ai donc donné quelques conseils. C’est une personne extrêmement solaire, joyeuse. Une boule d’énergie qui ne peut laisser personne indifférent. À partir de là, on est toujours restés en contact. Puis la pandémie est arrivée. Et quand on a commencé à en sortir, elle m’a recontacté et m’a demandé si ça pouvait m’intéresser de coproduire Si seulement je pouvais hiberner. J’ai trouvé son scénario vraiment fascinant et on a dit banco.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce scénario ?
M.S : Son authenticité. On sent vraiment que Zoljargal sait de quoi elle parle. Elle possède en outre la qualité de traiter de sujets durs sans jamais se départir d’une certaine douceur. Mais au-delà de l’histoire, pour moi aussi, la rencontre avec Zoljargal a été décisive. Dès la fin de notre premier échange au téléphone, j’ai dit à Frédéric qu’on devait absolument accompagner Si seulement je pouvais hiberner.
F.C : Ce qui nous a séduits aussi, c’est la nationalité du film. Je ne peux pas nier une attirance et une curiosité pour la Mongolie, même si, à cause notamment des conséquences du Covid-19, on n’a pas eu la chance de pouvoir nous y rendre. Mais comme le dit Marie, ce qui était fascinant dans ce projet est qu’on ne se situait jamais dans le pittoresque, avec cette idée de montrer un Oulan-Bator loin des clichés auxquels on l’associe quand on n’y a jamais mis les pieds. Zoljargal a voulu réaliser un film vraiment politique sur l’écologie dans une des villes les plus polluées au monde. Elle y a mis toute son énergie, mais aussi beaucoup d’argent, en allant jusqu’à vendre son appartement pour financer son projet. Quand elle s’est lancée dans cette aventure, la Mongolie n’avait aucun fonds public, aucun crédit d’impôt et quasiment aucun investisseur privé. En tant que jeune femme réalisatrice en Mongolie, Zoljargal a vraiment été une forme de pionnière.
Comment a débuté votre travail de coproducteurs sur ce film ?
M.S : Le premier travail consiste évidemment à trouver du financement. Pour ce film, Zoljargal a dû commencer son tournage sans attendre les retours de nos demandes d’aide. Car l’action du film se déroulant en hiver, elle aurait sinon dû le repousser d’une année. Et c’est à la fin du tournage que nous avons eu la confirmation d’une autre aide qu’on avait demandée, l’Aide aux coproductions internationales de l’Île-de-France. Ce qui a vraiment permis de donner une autre dimension à la postproduction.
De quelle manière ?
M.S : On a pu proposer à Zoljargal de venir faire toute la postproduction en France, chez Urban, où nous avons une salle de montage et un studio son. Elle a ainsi travaillé avec des techniciens français au montage (Alexandra Strauss), à l’étalonnage (Julien Petri)… Johanni Curtet, qui signe la BO, est un ami de Zoljargal qui travaille beaucoup en Mongolie et il est lui aussi français.
F.C : On a aussi obtenu l’Aide aux Cinémas du monde après réalisation pendant cette phase de postproduction. Ce qui nous était déjà arrivé sur une de nos précédentes coproductions, Plan 75 de la Japonaise Chie Hayakawa. Et à ce financement supplémentaire, s’est ajouté le MG (minimum garanti – ndlr) du vendeur international, en l’occurrence Urban Sales, et celui du distributeur français, Eurozoom. On a ainsi pu structurer un financement qui couvre la moitié du budget du film et passer de un à cinq mois de postproduction ! Il faut savoir que la France possède une culture du son extrêmement singulière. On a des mixeurs, des ingénieurs du son capables d’intervenir sur la postproduction de films tournés de manière rapide et sans grand moyen en apportant une vraie valeur ajoutée. Tous ont fait ici un travail remarquable.
Comment s’est fait le choix d’Alexandra Strauss que vous évoquiez ? Avez-vous fait rencontrer différents monteurs à Zoljargal Purevdash ?
M.S : On a discuté avec elle de deux ou trois profils mais très vite le choix s’est porté sur Alexandra…
F.C : … qui a aussi été la monteuse de Raoul Peck…
M.S : … et qui a eu le même coup de cœur que nous en rencontrant Zoljargal !
F.C : On a eu aussi la chance que les emplois du temps s’accordent, ce qui n’est pas aisé quand on travaille avec des techniciennes et des techniciens extrêmement demandés comme Alexandra.
Comment définiriez-vous la singularité de Si seulement je pouvais hiberner par rapport à vos autres productions ?
F.C : Je ne vois pas de réelle singularité. À l’inverse même, je dirais qu’il est représentatif de ce qu’on veut faire en termes de structure de financement et de partenaires fiables, avec en bout de chaîne Eurozoom qui offre au film une grande visibilité et la sélection à Cannes à Un Certain Regard qui aide à déclencher de nombreuses ventes internationales. Pour nous, c’est vraiment la manière idéale de réaliser des films. Même si on n’entend pas s’enfermer dans la coproduction minoritaire de films à petit budget des pays du Sud. On a aussi des projets français plus ambitieux, plus chers car on a ce souci de la diversification.
Comment avez-vous vécu la présentation du film à Cannes ?
M.S : C’était riche en émotions. D’abord parce que Zoljargal a pu faire venir ses trois jeunes comédiens. C’était la première fois qu’ils prenaient l’avion, qu’ils voyaient la mer…
F.C : C’était aussi le premier film mongol en sélection officielle à Cannes. Une immense fierté pour ce pays qui, quelques mois plus tard, a eu un autre film présenté à la Mostra de Venise [City of Wind du réalisateur Lkhagvadulam Purev-Ochir – ndlr]. Ce qui a créé en Mongolie une émulation et une envie de développer le septième art. Grâce à cela, et pour la première fois, des fonds publics y ont été mis en place. Je vois donc Si seulement je pouvais hiberner comme un film de pionnière.
M.S : Le film sort d’ailleurs le 12 janvier en Mongolie mais avant cela, en octobre dernier, il a fait l’ouverture du festival d’Oulan-Bator qui fut donc sa toute première projection nationale.
Pensez-vous continuer à travailler avec Zoljargal Purevdash dans le futur ?
M.S : On en a même déjà parlé ensemble. Elle travaille sur le traitement de son deuxième long métrage et on a hâte de le lire !
F.C : On a évidemment envie de continuer avec cette femme aussi talentueuse que délicieuse. On a produit une vingtaine de films en douze ans et Zoljargal est sans conteste l’une de nos plus belles rencontres personnelles comme professionnelles.
SI SEULEMENT JE POUVAIS HIBERNER
Réalisation et scénario : Zoljargal Purevdash
Photographie : Davaanyam Delgerjargal
Montage : Alexandra Strauss
Musique : Johanni Curtet
Production : Urban Factory
Distribution France : Eurozoom
Ventes internationales : Urban Sales
Sortie en salles : 10 janvier 2024
Soutiens du CNC : Aide à l'édition vidéo (aide au programme éditorial), Aide aux cinémas du monde après réalisation, Aide sélective à la distribution (aide au Jeune Public), ACM Distribution