Pourquoi avoir choisi de porter à l’écran ce roman de Jérôme Ferrari ?
Thierry de Peretti : J’avais depuis longtemps l’envie d’adapter un de ses romans. Il est mon contemporain : nous sommes de la même génération, nous sommes Corses tous les deux, l’île est notre terrain de prédilection, notre territoire de fiction. Ses premiers livres et mes premiers courts métrages ont été produits à la même époque. Les romans de Jérôme [Ferrari] mettent à jour les représentations sur le territoire corse. Il a fait émerger des nouveaux récits que nous n’avions pas l’habitude de voir, d’entendre, de lire ; avec des personnages nouveaux, de mon époque, de ma génération… J’ai voulu l’adapter à deux reprises avant À son image, mais les droits étaient déjà pris – surtout après le prix Goncourt pour Le Sermon sur la chute de Rome en 2012.
Comment s’est déroulé le travail d’adaptation ?
Jérôme m’a fait lire À son image en 2018, avant que le roman ne sorte. Il m’a fait confiance. J’aurais presque pu dire « je le fais » avant même de le lire, tant j’étais familier de son travail. En le lisant j’ai été troublé, ému, touché : principalement par le personnage d’Antonia, qui réunit toutes les questions romanesques, politiques, théoriques, artistiques du livre. Ça m’a décidé. Ce roman dialoguait d’ailleurs avec Une vie violente : il y a des points communs historiques et narratifs. Nous avons acheté les droits d’adaptation avec Frédéric Jouve des Films Velvet et nous avons commencé à travailler avec la scénariste Jeanne Aptekman, avec qui j’avais collaboré sur Enquête sur un scandale d’État. Nous ne voulions pas « adapter », mais plutôt travailler à partir de ce matériau littéraire – ce qui veut dire réfléchir et enquêter. Le travail d’adaptation repose surtout sur du compagnonnage avec un grand texte et des interrogations sur la manière de poser du cinéma dessus.
Quelle a été la méthode de travail ?
Surtout pas de méthode ! Entre le moment où nous nous décidons à faire le film et la sortie en salle, il se passe trois ans. Durant cette période, nous n’avons pas fait qu’écrire des scènes ou des dialogues. Un travail se mène très en amont avec les acteurs, comme au théâtre, avec une troupe, autour de la table, en improvisation. Il faut aussi effectuer des recherches historiques sur le récit, même s’il s’agit d’évènements que je connais bien pour les avoir vécus dans ma jeunesse. Là il s’agissait de les réinterroger. Nous parlons d’écriture de plateau au théâtre ou en danse contemporaine, quand nous travaillons sur un thème ou une phrase ou un poème. Nous cherchons des formes. Nous travaillons, nous improvisons. La méthode est là : nous sommes déjà dans la mise en scène. Il faut un aller-retour constant entre la rédaction du cinéma et le cinéma, en somme.
Considérez-vous que À son image est un documentaire sur la Corse ?
Je suis toujours gêné par la question documentaire. Pour moi, il n’y a pas de différence entre documentaire et fiction… Le cinéma qui m’inspire aujourd’hui se place du côté de cinéastes qui ont aboli cette frontière comme Kevin Jerome Everson, Ben Russell, Eduardo Williams… Des cinéastes qui produisent de nouvelles façons de filmer. En phase avec notre époque. Des films qui circulent autrement qu’à travers le circuit salles, ceci dit. En tout cas, À son image n’est pas un documentaire sur les évènements politiques en Corse. Évidemment le film les réinterroge, mais il réinterroge des images par d’autres images, notamment à travers la manière dont la Corse est perçue du continent. Elle est regardée de façon très partisane, très folklorique par moments. Comment réarme-t-on ces images-là ? Il y a des archives retravaillées, des photographies d’époque…
Comment s’est déroulée la collaboration avec Les Films Velvet, qui produisent le film ?
Il s’agit de notre troisième film ensemble. À son image s’est amorcé pendant l’écriture d’Enquête sur un scandale d’État. Le fait de réaliser un film de fiction qui est un peu un film d’époque était un parti. Même si nous ne sommes pas obsédés par les reconstitutions, nous nous situons quand même dans les années 1980-1990, ce qui coûte plus cher à réaliser qu’un film vraiment contemporain. Par ailleurs, il n’y a pas de vedettes… Ce n’était pas simple, mais nous l’avons fait. À son image a été très correctement financé : nous avons obtenu presque tous les soutiens demandés. ARTE, la région Corse, Canal+, l’Avance sur recettes du CNC, Pyramide qui distribue tous mes films depuis le premier et qui s’est engagé tout de suite, par confiance, avant même la lecture du scénario… Réaliser un film d’époque sans vedette est une difficile équation à résoudre. Mais c’est une des missions du cinéma, de faire découvrir de nouveaux visages, une nouvelle troupe. La complexité du récit, aussi : ce n’est pas un film d’intrigue. Les spectateurs ne sont pas forcément habitués… Pour le producteur, ce n’était pas simple non plus, il lui a fallu beaucoup de confiance vis-à-vis de mon équipe et de moi.
À son image
De Thierry de Peretti
D’après l’œuvre de Jérôme Ferrari
Scénario : Thierry de Peretti et Jeanne Aptekman
Production : Les Films Velvet
Distribution : Pyramide
Sortie en salles : le 4 septembre 2024
Soutiens du CNC : Avance sur recettes avant realisation, Aide au développement d’œuvres cinématographiques de longue durée, Aide sélective à la distribution (aide au programme 2024)