Fanny Yvonnet, à quand remonte votre rencontre avec Morgan Simon ?
Fanny Yvonnet : Cela fait déjà quelques années ! J’ai travaillé sur deux courts métrages qu’il a réalisés, dont Plaisir fantôme qui avait été sélectionné à la Quinzaine des Cinéastes en 2019. Et c’est d’ailleurs après Plaisir fantôme, alors qu’on développait une idée de long métrage mais qui mettait du temps à avancer, qu’il m’a pour la première fois parlé d’Une vie rêvée. Le film s’appelait alors L’Amour égaré. J’ai lu le scénario qui avait quelque chose de puissamment sincère, et on a très vite décidé que ce serait son deuxième long métrage.
À quel moment envisagez-vous une coproduction, et pourquoi avoir choisi de travailler avec Florence Gastaud de chez Wild Bunch ?
FY : C’est arrivé très tôt dans le processus, dès qu’on a commencé à travailler sur la réécriture du scénario. C’est quelque chose que j’avais déjà fait, sur Ava et Les Cinq Diables, notamment, les deux longs métrages de Léa Mysius.
Florence Gastaud : Dès que Wild Bunch m’a proposé de venir développer la production déléguée chez eux – alors qu’ils ne faisaient que de la vente et de la distribution –, j’ai commencé à lister les réalisateurs avec qui j’avais envie de travailler et qui pourraient « matcher » avec Wild Bunch. Comme j’avais beaucoup aimé le premier long métrage de Morgan [Simon], je l’ai contacté pour savoir s’il avait des projets en tête. Quand il m’a parlé de ce qui allait devenir Une vie rêvée, comme Fanny, j’ai trouvé ça tellement émouvant que j’ai tout de suite eu envie de m’associer au projet. J’aimais l’idée d’une forme de diptyque avec Compte tes blessures. J’ai aussi été séduite par la beauté de cet hommage à sa propre mère avec son regard d’adulte, à ce qu’elle a pu traverser, y compris dans l’éducation du fils qu’il a été, avec son caractère bien trempé. J’ai tout de suite senti la nécessité pour Morgan de raconter cette histoire et la certitude qu’elle saurait toucher un large public. Tout le monde allait pouvoir se projeter dans cette histoire.
FY : Il se trouve qu’avec Florence, nous avions fait partie de la même commission du CNC, celle du premier collège de l’Avance sur recettes dont elle était vice-présidente…
FG : Outre le fait qu’on s’était bien entendu, j’avais beaucoup aimé la manière dont Fanny parlait de cinéma et j’avais pu constater qu’on était souvent sur la même longueur d’onde. Donc quand j’ai su que Trois Brigands était attaché à ce projet, j’ai été ravie et on est parti sur une coproduction déléguée.
Comment vous répartissez-vous le travail ?
FY : On a vraiment travaillé ensemble sur tout ce qui est écriture et casting, en collaboration avec Morgan bien sûr.
FG : Par rapport à la toute première version du script, on a fait pas mal de corrections de structure, des changements aussi dans certains personnages. Par exemple, la patronne du bar qui porte un regard chaleureux sur le personnage de la mère et agit comme une bouée de sauvetage, était un homme au départ. Morgan a choisi finalement d’en faire une femme, pour se rapprocher de ce qu’avait vécu sa propre mère.
FY : Côté casting, les trois acteurs principaux, qui étaient les premiers choix de Morgan, sont arrivés très vite. Valeria Bruni Tedeschi a lu le scénario en moins de trois jours avant de dire oui. Cela a été aussi rapide pour Lubna Azabal. Et c’est Grégory Weill, l’agent de Valeria, très présent à nos côtés dans cette première phase du film, qui nous a suggéré le nom de Félix Lefebvre pour le rôle du fils.
Vous avez aussi collaboré à la recherche de financement ?
FG : On a tout fait de concert. Mais Fanny a pris davantage en charge les partenaires classiques comme les chaînes de télévision, alors que j’ai été de mon côté l’interlocutrice principale pour la distribution avec Wild Bunch – où j’ai assuré tout le suivi – et avec le vendeur international, Pulsar, après avoir subi le refus de quelques autres. Car il faut savoir que, depuis le Covid, ce type de films est de plus en plus compliqué à vendre notamment aux distributeurs européens qui restent très fragilisés par la période de confinement et de fermeture des salles.
FY : Nous étions dans une forme d’urgence car, pour des questions de disponibilité des comédiens, on avait une date de tournage à respecter. Tout a bien démarré parce qu’on a eu un soutien très rapide et très fort de Canal+. On n'a pas obtenu de soutien de la région ou de financement d’une chaîne en clair. L’Avance sur recettes nous a été attribuée plus tard, après réalisation. Mais avec Florence, on a décidé d’y aller quand même et de prendre un risque.
FG : Nous avons dû retravailler le scénario pour rentrer dans le budget et couper des scènes ambitieuses qui auraient sans doute donné un côté plus spectaculaire au film. Mais comme souvent, la contrainte a servi le projet en poussant à revenir à l’intime à travers un huis clos plus étouffant que prévu. Cela a aussi donné plus de puissance aux scènes où l’on sort de l’appartement pour aller au café, où se rencontrent les personnages de Valeria et Lubna.
Qu’avez-vous le plus apprécié dans le travail avec Morgan Simon ?
FY : Son calme doublé d’une assurance très forte, deux traits de caractère qui ont joué un rôle important sur le plateau où le timing était serré. Il est aussi très obstiné. Ce qui, pour moi, est une grande qualité chez un metteur en scène.
FG : Je suis tout à fait d’accord avec Fanny. Son obstination naît de la sincérité totale qu’il a mise dans ce projet où il parle de sa vie, de ce qu’il connaît, de ce qui l’a touché.
Vous vous êtes aussi réparti les tâches sur le tournage ?
FG : Non, c’est vraiment Fanny qui a pris en charge la production exécutive du film et qui était présente sur le plateau pour gérer les angoisses de Morgan. C’est en cela que j’aime beaucoup les coproductions déléguées, car lorsque l’un des deux producteurs fatigue, à cause notamment des angoisses financières qu’on a connues ici, l’autre prend le relais.
FY : Avec Morgan, on a notamment échangé sur son équipe technique car il avait décidé de la renouveler. Je lui ai suggéré le chef opérateur Sylvain Verdet (La Fille au bracelet, Goutte d’or…) car je connaissais et appréciais son travail ainsi que sa capacité à s’adapter à un timing de tournage très serré.
Le montage a-t-il beaucoup modifié le film ?
FG : C’est l’étape qui me terrifie… et m’exalte le plus. La première sensation, à la découverte du premier bout à bout, est toujours assez anxiogène.
FY : L’énorme avantage ici était que la chef monteuse, Marie Loustalot, connaissait très bien Morgan pour avoir fait tous ses films. Elle a commencé à travailler durant le tournage au fur et à mesure de l’arrivée des rushes. Une fois le tournage terminé, Marie et Morgan ont construit le film, avant qu’on les rejoigne et qu’on finisse tous vissés à la salle de montage !
FG : Dès le premier bout à bout s’est confirmé le choix d’axer le regard sur le personnage de Valeria. Puis, petit à petit, est née l’idée de casser un peu l’aspect linéaire du récit. La scène d’ouverture, que je trouve absolument géniale, se situait au départ dans le corps du récit. C’est à la cinquième ou sixième version du montage que Morgan a eu l’idée de la positionner plus tôt, comme une évidence : il n’y avait pas mieux pour entrer dans le récit, poser et présenter le personnage de la mère. Ce fut un élément déclencheur pour d’autres changements qui ont conduit, comme je le disais, à resserrer sur la mère et à sacrifier des scènes pourtant magnifiques entre elle et son fils.
FY : Les grandes questions au montage ont aussi porté sur les choix de musique et d’ambiance sonore. On a pas mal cherché pour arriver au résultat final.
Florence Gastaud, vous évoquiez plus tôt les ventes internationales. Dans quels pays devrait sortir Une vie rêvée ?
FG : Pulsar commençait une nouvelle histoire. Et ce que j’apprécie particulièrement chez eux est le fait qu’ils prennent peu de films pour pouvoir vraiment travailler chacun en profondeur. Ce qui était indispensable pour un projet comme Une vie rêvée. Ils ont vraiment réussi de très belles ventes, en s’y mettant très en amont, pendant le tournage. Le film sortira en Italie, en Belgique avec un très beau distributeur Cinéart, en Espagne, au Brésil… J’adore le titre anglais d’ailleurs, Somewhere in Love.
UNE VIE RÊVÉE
Réalisation : Morgan Simon
Scénario : Morgan Simon avec la collaboration de Magali Negroni et Gaëlle Macé
Photographie : Sylvain Verdet
Montage : Marie Loustalot
Musique : David Chalmin
Production : Trois Brigands Productions, Wild Bunch
Distribution : Wild Bunch Distribution
Ventes internationales : Pulsar
Sortie le 4 septembre 2024
Soutiens du CNC : Avance sur recettes après réalisation, Aide au développement d’œuvres cinématographiques de longue durée