« Toute cette technologie évolue très vite, il faut donc apprendre et se remettre en cause continuellement ». Ce constat, fait par Miguel Chevalier, résume en quelques mots l’impact de l’innovation sur l’art. Si les écrans LCD, les vidéoprojecteurs ou le code ont permis aux artistes de s’exprimer via un nouveau médium, ils représentent des éléments à prendre en compte pour la viabilité de la création et sa conservation. Comment préserver, dans le futur, une œuvre née, par exemple, en 2018 avec les moyens technologiques de l’époque ? Des moyens qui deviendront obsolètes dans quelques années ? Comment continuer à exposer ces installations et vidéos lorsque la technologie, grâce à laquelle elles ont été créées, aura été totalement transformée ?
Ces questions liées à l’obsolescence technologique « se posent depuis longtemps » pour Antoine Schmitt. Cet artiste, qui crée des installations en utilisant le code informatique, a su s’adapter pour que son travail puisse être projeté dans le futur.
L’importance de la transmission
« C’est une question déjà résolue que les musées se posent aussi, ainsi que les acheteurs de ces œuvres », souligne pour sa part Hugo Verlinde. Ce dernier laisse ainsi, s’il s’agit d’une vidéo, une copie de cette dernière à l’acheteur ou à l’établissement qui l’expose. « S’il s’agit d’une installation, je laisse le code source qui permet à n’importe quel développeur de générer ces images-là, puisque le code est présent partout », ajoute-t-il. Pour s’assurer que l’œuvre qui renaît soit identique à sa création, Antoine Schmitt fournit ainsi, aux musées ou personnes achetant son travail, « un document technique expliquant toutes les caractéristiques du matériel utilisé ainsi que les éléments essentiels pour la conserver : la qualité de mouvement, le rendu de l’image… », précise-t-il.
Cette transmission de l’artiste à l’acheteur ou au musée est essentielle pour Dominique Moulon, critique d’art et commissaire d’exposition. « Le code, ce n’est pas sûr à 100%. Il faut que les artistes donnent, avec leurs œuvres, leurs instructions. Grâce à ces dernières, on pourrait savoir par exemple si l’artiste envisage que son œuvre soit portée d’un code à un autre, à condition qu’elle soit projetée ou montrée sur un écran. Si les artistes qui ont utilisé des téléviseurs dans les années 1960-1970 avaient fait ce travail, on saurait aujourd’hui si on peut montrer leurs créations autrement que sur un téléviseur à tubes, affirme l’auteur de L’Art au-delà du digital. On sait malgré tout qu’il faut montrer certaines œuvres sur les dispositifs de l’époque. Dans ces cas-là, c’est au musée d’acheter des téléviseurs à tubes régulièrement pour restaurer des œuvres ».
« Ce ne sont pas l’ordinateur et l’écran qui font l’œuvre »
Pour ses œuvres génératives telles que Fractal Flowers, Miguel Chevalier travaille avec des programmeurs informatiques. « Je suis un peu comme un réalisateur ou un metteur en scène (…) je donne l’orientation avec des éléments graphiques, des exemples et peu à peu ces idées permettent de créer au final le logiciel », confiait-il au CNC. Des logiciels qui sont réalisés en prenant en compte l’obsolescence technique. « Je fais évoluer mes œuvres en même temps que la technologie. Si les anciens ordinateurs tombent en panne, on peut la faire sur une machine plus actuelle. Ce ne sont pas l’ordinateur et l’écran qui font l’œuvre, mais le logiciel. Et ce dernier est réactualisé au fur et à mesure de la technique. Je fais le nécessaire pour qu’on puisse le mettre sur une nouvelle machine, si les ordinateurs sur lesquels les œuvres ont été créées n’existent plus sur le marché », explique-t-il.
Si les artistes s’adaptent, les musées devront-ils, dans le futur, avoir en leur sein des spécialistes informatiques pour la conservation de l’art numérique ? « Beaubourg devrait avoir un spécialiste Mac des années 1990, un spécialiste des années 2000, un spécialiste Windows des années 2010 pour restaurer les œuvres qu’il pourrait accueillir, au même titre qu’au Louvre, il y a un spécialiste des vernis flamands du XVIIème siècle. Ça commence à se faire, mais vraiment très doucement », conclut Dominique Moulon.