Bonjour le monde ! est dans la lignée de votre travail autour des sculptures d’animaux. C’était une envie de longue date de mettre ces animaux à l’honneur dans une série puis dans un film ?
J’y pensais depuis que j’ai commencé à faire de l’animation, pendant mes études. Mais à l’époque, nous n’étions qu’aux débuts de l’informatique. Je voyais bien que le travail serait considérable, car pour montrer des sculptures dans un paysage en stop motion, il fallait refaire le décor à différentes échelles. C’était titanesque, donc impossible. Mais avec les nouvelles technologies, il y a beaucoup moins de contraintes, et c’est devenu possible.
Article sur le même sujet
Comment a été réalisé Bonjour le monde ! ?
Nous avons animé les marionnettes sur fond vert et elles ont ensuite été placées dans un décor sur ordinateur. Au départ, je voulais tout animer, mais après un premier pilote mettant en scène un hibou, je me suis rendu compte que certaines choses étaient trop compliquées. Lorsque le hibou ouvrait les ailes, il était vraiment trop grand. Il y avait un problème de portance avec la gravité et les ailes avaient tendance à retomber malgré les armatures. Il y avait vraiment des limites physiques. Pour la série, nous avons donc utilisé des fonds verts et les marionnettes ont été réalisées à des tailles facilitant l’animation.
Qu’en est-il des décors ?
Il y avait des éléments en papier et d’autres que j’avais peints. Au départ, nous avions choisi de ne pas faire tous les décors en papier par souci d’économie, mais en avançant dans la fabrication, j’ai vraiment aimé peindre et mêler cette peinture à la sculpture polychrome. Pour les scènes aquatiques, nous avions des fonds peints avec des couleurs distinctes pour les parties sur l’eau et celles sous l’eau. Un dessinateur a ensuite animé en 2D sur ordinateur la ligne d’eau ainsi que les gouttelettes, les éclaboussures, les petites bulles… Il a tout dessiné et a fait un travail magnifique.
Quelle était votre ligne directrice pour l’esthétique de la série et du film ?
J’avais envie d’être dans la même démarche d’honnêteté que pour la sculpture et de retranscrire vraiment l’animal sculpté dans la limite que m’imposait bien sûr le matériau. Modeler du papier n’est pas si facile, il y a des difficultés, d’autant plus qu’il s’agit de marionnettes qui doivent bouger. Avec de telles contraintes, il faut innover. Cette innovation, induite par un objectif et des impératifs, se fait d’elle-même, c’est juste une question d’esthétique générale. Les marionnettes se veulent réalistes avec des couleurs qui ne rendent pas une image inquiétante à l’écran, mais qui gardent une fraîcheur pour être bien reçues par le spectateur. Il fallait également que le matériau soit visible, que les écritures du papier utilisé soient les plus apparentes possible pour qu’on ne soit jamais dans une esthétique hyperréaliste.
Pourquoi ?
Pour moi, voir le papier apporte une certaine franchise : on montre ainsi qu’il s’agit de marionnettes. Ça amène également un charme poétique : grâce à cet objet un peu nouveau, on profite de rêveries, on convoque des cultures…
Est-ce pour cela que vous utilisez, pour vos sculptures, des pages de livres ?
Lorsque j’ai commencé à faire des sculptures en papier mâché, les journaux étaient en noir et blanc. Je les trouvais très belles ainsi. Je me souviens qu’à chaque fois que je finissais une sculpture, je la regardais sous toutes les coutures pour cacher avec du papier les noms des hommes politiques que je n’aimais pas. Lorsque les journaux ont été publiés en couleur, j’ai dû trouver un autre matériau et je me suis tournée vers les livres. J’ai très vite compris que je devais utiliser des textes que j’aimais car j’avais plaisir à les retrouver en travaillant. Il y a quelques contraintes malgré tout, comme la taille des caractères qui diffère selon les sculptures. Certains animaux de grande taille sont reproduits dans de petites marionnettes et inversement. En utilisant toujours le même papier, j’avais peur que les distorsions d’échelle soient visibles.
Quels textes avez-vous utilisé pour Bonjour le monde ! ?
Il y a beaucoup de pages de L’Odyssée d’Homère ainsi que des extraits de Shakespeare – notamment de Roméo et Juliette – ou encore de la poésie française. Je me rappelle qu’un ami, qui savait que j’avais besoin de beaucoup de papier, m’avait ramené sa collection de livres de droit périmés. Mais je me suis vite rendu compte en modelant que ces textes étaient énervants car il y avait beaucoup de choses sur le divorce, des condamnations… Ce n’était pas poétique et même un peu déprimant ! (Rires).
Comment avez-vous retranscrit les comportements des animaux ?
Que les animaux aient de vrais comportements animaliers était important pour nous. Cette problématique a ainsi été longuement étudiée. J’ai fait relire le scénario par des spécialistes pour m’assurer de ne pas laisser passer d’erreurs ou de bêtises. Pour l’animation, il existe beaucoup de documentation, je n’ai donc pas eu besoin d’experts pour recréer les mouvements. J’étais vraiment ravie lorsque des membres de l’équipe du film arrivaient à reconnaître des animaux en se promenant au bord de l’eau les week-ends. Ils remarquaient dans la nature ce qu’ils avaient travaillé en studio. C’était vraiment une récompense.
C’est l’impact que vous souhaitez provoquer chez les enfants ?
L’objectif est de donner une curiosité aux enfants, de leur faire sentir que l’animal est intéressant et pas anecdotique : il a des choses très importantes à nous apprendre. Les humains ont tendance à formater leurs comportements. Ils se disent : « Il faut être comme ci ou penser comme ça. » On voit, en observant les animaux, qu’il y a une énorme diversité de comportements. On en reconnaît certains, mais leur système de valeurs a davantage de latitude. Le naturaliste Jean-Henri Fabre a publié des écrits magnifiques sur les insectes. Les observer a remis en question ses convictions, sa pensée.
Quels sont les enjeux d’écriture et de création pour des enfants ?
Je n’écris pas pour les enfants. J’écris des films en me disant qu’ils doivent être accessibles aux enfants. Je n’aime pas cibler un public, mais j’essaie de faire un film où personne n’est snobé et mis de côté. J’essaie de choisir de jolis mots mais d’exprimer les idées clairement, sans brader, sans renoncer à une certaine complexité. Et il y a plusieurs strates de lecture pour que le film puisse être reçu de manière différente. Être claire sans bêtifier est le plus important pour moi. Ce qui est bien avec l’animal, c’est qu’il permet de parler de thèmes qu’on aborde dans l’enfance, mais moins après, ainsi que de questions qu’on ne résout jamais telles que « Qu’est-ce qu’on fait là ? », « Qu’est-ce qu’on a envie de faire dans la vie ? », « Quand est-ce qu’on est grand ? ». Je ne sais toujours pas si je suis grande… Il est important de se reposer ces questions à tout âge.
Est-ce plus facile de poser ces questions à travers des marionnettes ?
Cette médiation de la marionnette est intéressante pour parler de la nature qui est d’une complexité extraordinaire. Elle nous dépasse et avec Bonjour le monde !, nous sommes dans une présentation réduite. C’est vraiment notre vision d’humains sur la nature. Les marionnettes permettent une première approche de cette complexité. Je fais attention à ne pas traumatiser pour traumatiser, à présenter des comportements violents de manière un peu réfléchie pour changer l’image parfois négative que l’on peut avoir d’un animal tel qu’une chauve-souris ou une araignée. Des êtres vivants qu’on nous a déjà présentés avec un a priori culturel négatif. Personnellement, j’avais peur des araignées au départ. Mais en les étudiant et en découvrant leurs comportements, j’ai beaucoup évolué sur la question.
Comment trouvez-vous l’équilibre entre vos envies de clarté, de pédagogie et de poésie ?
Cet équilibre se fait en moi. J’ai réalisé Bonjour le monde ! avec mes tripes et mes convictions. Dans la série et le film, il y a des éléments très importants pour moi : des sentiments, des points de vue, des réflexions, des choses qui me font rire, d’autres qui m’énervent… C’est avant tout une œuvre très personnelle.
Bonjour le monde ! est soutenu par le CNC.