Comment appréhender l’espace sur différents supports ?

Comment appréhender l’espace sur différents supports ?

07 août 2024
Cinéma
« Le Voyage dans la Lune » de Georges Méliès
« Le Voyage dans la Lune » de Georges Méliès Star Film

Cinéma, série, VR… : à l’occasion des Nuits des étoiles, qui se tiennent ce week-end du 9 au 11 août, tour d’horizon de cinq exemples de visions spatiales qui racontent le rapport des artistes à l’espace. De quoi découvrir comment l’image tente de nous faire voyager dans les cieux depuis plus de cent ans.


L’édition 2024 des Nuits des étoiles, manifestation astronomique organisée par l’Association Française d’Astronomie, aura lieu du vendredi 9 au dimanche 11 août. L’occasion de voir comment le cinéma, la télévision et les arts visuels en général ont cherché à sonder les mystères de l’espace.

Le cinéma et la représentation fantasmatique

Le Voyage dans la Lune de Georges Méliès 

En 1902, soixante-sept ans avant l’alunissage de la mission Apollo 11 de la Nasa, Le Voyage dans la Lune de Georges Méliès imagine pour la première fois ce que pourrait être l’espace au cinéma. L’œuvre est une très libre adaptation du roman De la Terre à la Lune de Jules Verne. Ainsi, alors que le roman de Verne joue la carte « scientifique », contenant de nombreuses explications techniques, Méliès lui, préfère une représentation librement imaginative, flirtant même avec le fantastique. Face aux frères Lumière qui captent le réel et amènent le cinéma sur le terrain de l’objectivité et du documentaire, Méliès veut imprimer sur pellicule ses rêves et l’univers enchanté qu’il invente au fil de ses récits. L’espace, pour ce bricoleur de génie, est donc un terrain de jeu, le lieu de tous les possibles. Le professeur Barbenfouillis et ses collègues n’ont pas de combinaisons, mais des robes couvertes d’étoiles. La Lune est anthropomorphisée. Et le canon géant qui envoie la fusée dans l’espace ressemble davantage à un objet de cirque qu’à un outil véritablement scientifique. L’espace est encore un fantasme et Méliès a non seulement inventé le récit spatial, mais plus encore, le cinéma de fiction.

 

YouTube ou l’émerveillement pédagogique

La chaîne Nébuleuses et Cacao de Corentin Kimenau

Corentin Kimenau est un photographe passionné par le système solaire et les étoiles. Depuis quelques années, il partage sur Instagram ses photos avec un seul désir : célébrer la beauté du cosmos et rendre compte de phénomènes célestes exceptionnels. Et, surtout, partager sa passion. Car si Corentin Kimenau exprime sa vision du ciel et de l’espace via la photographie, la performance, les résultats ou les records ne sont pas vraiment son but. Ce qu’il veut, c’est transmettre (comme le rappelle l’une de ses séries YouTube, Vos yeux, mon télescope et l'infini). Sa vidéo Astrophotographie, plaidoyer pour l’émerveillement résume l’ambition de sa chaîne Nébuleuses et Cacao. Ses clichés et ses vidéos existent d’abord pour montrer la beauté infinie de notre galaxie et nous permettre de capturer ce que nous avons du mal à saisir, ce qui nous dépasse à la fois dans l’espace et dans le temps… En allant à la rencontre des autres, en cherchant le contact tout en nous montrant l’espace, il veut nous rendre plus familiers avec ce qui paraît, au premier regard, si étranger. Corentin Kimenau souhaite faire découvrir un autre monde, celui des étoiles, de l’infiniment grand et du vide intégral avec un slogan : « démocratiser l’émerveillement ».

 

Le documentaire ou la dérive métaphysique

16 levers de soleil de Pierre-Emmanuel Le Goff  

Thomas Pesquet serait-il le « Petit Prince » d’un monde toujours à la recherche de l’émerveillement ? C’est la thèse du cinéaste Pierre-Emmanuel Le Goff. Dans 16 levers de soleil (2018), son documentaire contemplatif, il met en parallèle le parcours de l’astronaute français avec celui de l’aviateur et écrivain Antoine de Saint-Exupéry. Le réalisateur a ainsi monté un mélange d’images des préparatifs de la mission à Baïkonour, base spatiale russe au Kazakhstan, et de séquences filmées par Thomas Pesquet et son équipe à bord de la Station spatiale internationale (ISS), le tout accompagné par la lecture en voix off d’extraits des romans de Saint-Exupéry (Citadelle et Vol de nuit). Pierre-Emmanuel Le Goff alterne les images spectaculaires (du décollage, de la sortie extravéhiculaire) avec des moments plus intimes où les astronautes se livrent à leurs tâches quotidiennes. L’ambition est d’offrir un film onirique, doublé d’une réflexion sur la place de l’Homme dans le cosmos. Rythmée par des mélodies au saxophone – l’instrument de Thomas Pesquet – signées Guillaume Perret, cette œuvre hybride, à la fois lyrique et triviale (la vie répétitive des cosmonautes, en apesanteur, au milieu de leur barda technique) hypnotise. Le réalisateur a également tourné le premier film en VR dans l’espace, Dans la peau de Thomas Pesquet (2018), disponible sur Google Play Store (Thomas Pesquet VR) et sur l'Apple Store (Dans la peau de Thomas Pesquet). À voir avec un casque VR pour les smartphones.

 

La série pour le suspense cosmique et poétique

Infiniti, la minisérie de Canal +

En l’espace de quelques décennies, cinéma et séries se sont mis à traiter sérieusement de l’espace. Sans doute parce que le public est devenu avide de connaissances sur le sujet. Mais surtout parce que les informations techniques et scientifiques sont plus rigoureuses qu’à l’époque de Méliès. De fait, le public est aujourd’hui moins naïf face à la science, et plus curieux. La preuve avec Infiniti (2022), cette minisérie en 6x52 minutes qui mêle polar et cosmologie. Tout commence dans les étoiles lorsque l’ISS et ses occupants cessent d’émettre. Sur terre, le corps d’un astronaute est retrouvé dans les steppes kazakhes dans une mise en scène macabre. Une spationaute mise sur la touche et un flic du coin vont tenter d’y voir plus clair… Thriller anxiogène, tragédie existentielle, SF métaphysique aux accents « tarkovskiens » : le plaisir de ce programme très ambitieux réside d’abord dans son mélange des genres, sa belle facture technique et son casting quatre étoiles (Céline Sallette, Anatolii Panchenko). Mais les passionnés d’espace pourront surtout découvrir sous un nouveau jour le quotidien de la communauté spatiale et particulièrement les centres spatiaux situés dans des régions reculées, quasiment sauvages. Extrêmement documentée, la série oppose sur un registre très poétique un ancien monde, qui vit encore en marge de la civilisation, et la science la plus pointue. En croisant ces deux univers, mysticisme et hard science, en jouant sur l’espace autant que sur le temps, les deux showrunners, Stéphane Pannetier et Julien Vanlerenberghe, se rapprochent du surréalisme scientifique à la Bachelard…

 

L’expérience VR

Le court métrage Recoding Entropia de François Vautier

« Un néant insondable, des horizons sans limite, des formes inertes aux soubresauts pourtant violents, présumant du vivant, de l’organique en devenir, d’une vie par-delà l’entendement... » Voilà comment se présente Recoding Entropia (2020), le film immersif de François Vautier, diffusé à L’Atelier des Lumières jusqu’à début 2023. Partant d’une géométrie spécifique, perdue dans une étendue spatiale, qui ne cessera de se transformer tout au long du récit pour finalement apparaître sous une autre figure, l’histoire de ce court métrage VR de huit minutes raconte une évolution de forme, d’espèce, d’intelligence. Flirtant avec l’expérimental, cette expérience permet de regarder une masse métallique gigantesque, flottant dans l’espace, grossir, grandir avant de délivrer un étrange message… Cette œuvre unique s’inscrit dans la filmographie sensualiste, très contemporaine, de François Vautier (I Saw The Future et Odyssey 1.4.9). Elle « fait suite à mes précédents films en réalité virtuelle, qui traitaient de l’évolution, confirmait l’artiste au journal Ouest France. Recoding Entropia s’attache particulièrement à observer ce moment incroyable où, de la matière inerte, la vie apparaît. Pour que ce soit poétique, j’ai fait comme si la vie avait pu naître de matériaux minéraux, en me libérant des contraintes scientifiques. » Pas d’explication, pas de leçon, mais plutôt un travail sur les sens, essentiellement axé sur les espaces et les valeurs d’échelles, les masses. Recoding Entropia est une œuvre qui exploite toutes les possibilités de la VR pour plonger le spectateur dans un lieu vertigineux d’où tout opère. Comme un retour aux origines : l’espace !