« Crossing Istanbul » : entretien avec Nadia Turincev, sa coproductrice française

« Crossing Istanbul » : entretien avec Nadia Turincev, sa coproductrice française

12 décembre 2024
Cinéma
« Crossing Istanbul »
« Crossing Istanbul » réalisé par Levan Akin Haydar Tastan

Via leur société Easy Riders Films, Nadia Turincev et son associé Omar El Kadi ont coproduit pour la France le nouveau long métrage du Suédois d’origine géorgienne, Levan Akin. Récit d’une aventure singulière.


Quelle est la ligne directrice d’Easy Riders Films, la société de production que vous avez créée avec Omar El Kadi ?

Nadia Turincev : Faire des films que nous avons l’impression de n’avoir jamais vus ! Ce qui est, j’en conviens, assez large. De par nos origines multiples, la coproduction est un endroit vers lequel nous allons spontanément. Je suis d’origine russe, Omar est libanais. Nous vivons tous les deux en France. Quant à Crossing Istanbul, il a été tourné entre la Géorgie et la Turquie par un cinéaste suédois mais originaire des pays traversés par son film. C’est un beau mélange des cultures.

Votre parcours de productrice rend compte de cette ouverture au monde…

Avant la création d’Easy Riders Films en 2019, je produisais avec Julie Gayet au sein de la société Rouge International où nous avons accompagné des longs métrages comme Grave, de la Française Julia Ducournau, mais aussi Mimosas, la voie de l’Atlas, du Franco-Espagnol Oliver Laxe, Bonsái, du Chilien Cristián Jimenez… Omar, lui, s’occupait des acquisitions et des ventes pour MC Distribution, une société basée à Beyrouth qui couvrait le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Cette « ouverture au monde » est en effet dans notre ADN.

Crossing Istanbul insuffle beaucoup d’humour, de tendresse, de joie, et ce, malgré un contexte social et humain difficile.

Comment avez-vous entendu parler de Crossing Istanbul de Levan Akin ?

Omar et moi avions découvert et aimé le premier long métrage de Levan, Et puis nous danserons, présenté à la Quinzaine des cinéastes en 2019. Nous nous sommes alors spontanément rapprochés de sa productrice Mathilde Dedye, que je connaissais déjà pour avoir envisagé de travailler avec elle sur un projet de film tourné en Irak. Elle nous a proposé d’être les coproducteurs français du prochain film de Levan, Crossing Istanbul. À ce stade, il n’existait qu’une idée directrice : le parcours d’une retraitée à la recherche de sa nièce transsexuelle dans les rues d’Istanbul. Sur cette seule promesse, nous nous sommes engagés à la suivre.

Quand « la promesse » est-elle devenue un scénario ?

Les différents confinements ont ralenti les choses. Levan Akin avait besoin de s’imprégner du monde qu’il entendait décrire, en l’occurrence la communauté trans d’Istanbul, pour ensuite écrire un scénario. Avant de devenir une fiction, son premier long métrage devait être un documentaire. Cela prouve le côté organique de sa démarche. Le Swedish Film Institute a soutenu le développement du film et permis l’écriture du scénario et le casting. Il était essentiel de passer par cette phase d’approche pour rendre tangibles les choses. Levan Akin a rencontré des personnes, noué des amitiés, écouté des récits… De là est née la tendresse pour ses personnages. Une tendresse palpable ensuite pour le spectateur.

 

À quel moment votre travail a-t-il débuté concrètement ?

J’aime m’impliquer dans la phase d’écriture. Nous échangions donc beaucoup avec Levan Akin par l’intermédiaire de Mathilde Dedye. Mathilde a des origines françaises et notre communication est très fluide. Une fois une version satisfaisante du scénario, nous avons pu solliciter l’Aide aux cinémas du monde du CNC. Aide que nous sommes très heureux d’avoir obtenue. C’était un signal fort, il validait notre enthousiasme sur ce film. Nous avons la chance d’être en France où les coproductions françaises mêmes minoritaires sont bien soutenues. Pour preuve, la région Île-de-France venait d’ouvrir un fonds de soutien pour les coproductions internationales. Un bon moyen de renforcer notre filière. Cette aide oblige les producteurs à se demander ce qu’il est possible de faire sur notre territoire et ainsi d’élargir le spectre des possibilités. Précisons également que Totem Films, la société française qui s’occupait des ventes internationales du premier long métrage de Levan Akin a très tôt montré son intérêt et s’est engagée sur le projet.

Quelles autres aides ont permis le financement de Crossing Istanbul ?

Arte Cofinova nous a soutenus pour le développement. Un soutien des plus précieux. Nous avons obtenu ensuite l’aide d’Eurimages qui s’additionnait donc à ceux du Swedish Film Institute et du Danish Film Institute. Il faut ajouter à cela les crédits d’impôt en Géorgie et en Turquie ainsi que le minimum garanti de ventes internationales.

Nous avons la chance d’être en France où les coproductions françaises mêmes minoritaires sont bien soutenues.

Au générique de Crossing Istanbul, on compte huit coproducteurs et coproductrices en plus de Mathilde Dedye. A-t-il été facile d’établir une bonne entente ?

Mathilde était l’interlocutrice privilégiée de Levan Akin. Nous nous sommes tous engagés en conformité avec l’esprit d’un cinéaste dont nous partagions tous les valeurs. Tout a été très fluide jusqu’au bout. Si notre société était associée dès le développement, d’autres sont arrivées en cours de route, comme la productrice danoise par exemple. Au moment du tournage, les équipes géorgiennes et turques ont pris logiquement le relais pour la fabrication.

Y avait-il néanmoins des points sur lesquels il fallait être particulièrement vigilant ?

La préservation de la sincérité de la démarche de Levan Akin. Le piège aurait été de verser dans le misérabilisme, que ce soit auprès des gamins des rues qui faisaient partie intégrante de l’histoire que de la communauté trans d’Istanbul… Personne ne devait se sentir exploité. C’est une question d’éthique qui était présente dès l’écriture, et qui s’est poursuivie au tournage puis au montage. Levan Akin en était bien sûr le chef d’orchestre. Crossing Istanbul insuffle beaucoup d’humour, de tendresse, de joie, et ce, malgré un contexte social et humain difficile.

Qu’en est-il de la distribution française du film ?

Nous n’avons malheureusement pas réussi à trouver un distributeur au moment de la phase du scénario. Totem Films a donc pris le mandat sur la France puis cherché un distributeur une fois le film terminé. L’équipe de New Story s’est engagée juste avant la première du film à la Berlinale où il faisait l’ouverture de la section Panorama. Cette première internationale a été une rampe de lancement idéale. Nous avons pu faire venir une grande partie de l’équipe. C’était très joyeux. New Story a ensuite réussi à faire vivre le film dans des festivals français, dont le Festival La Rochelle Cinéma. Cela a permis une exploitation et une programmation intelligente et cohérente.
 

Crossing Istanbul

Affiche de « Crossing Istanbul »
Crossing Istanbul New Story

Scénario et réalisation : Levan Akin
Production française : Nadia Turincev et Omar El Kadi (Easy Riders Films)
Distribution : New Story
Ventes internationales : Totem Films
Sortie le 4 décembre 2024

Soutiens du CNC : Aide aux cinémas du monde avant réalisation, Aide sélective à la distribution (aide au programme 2024)