« Les Rascals » : comment recréer le Paris des années 80 à l’image

« Les Rascals » : comment recréer le Paris des années 80 à l’image

18 janvier 2023
Cinéma
« Les Rascals » de Jimmy Laporal-Trésor.
« Les Rascals » de Jimmy Laporal-Trésor. The Jokers

Les Rascals, premier long métrage de Jimmy Laporal-Trésor, plonge dans le Paris des années 80, – une époque qui voit l’extrême droite gagner du terrain en France –, pour raconter l’affrontement entre une bande de jeunes de banlieue – les « Rascals » du titre – et les Skinheads néo-nazis qui commencent à s’organiser dans la capitale. Comment reconstituer cinématographiquement ce monde à la fois très proche (le film est nourri des souvenirs de jeunesse de son réalisateur) et très lointain (la ville et la société qu’il évoque ont énormément changé depuis) ? Le directeur de la photographie du film, Romain Carcanade, nous éclaire…


Des couleurs dans la nuit

« Avant Les Rascals, j’avais déjà travaillé avec Jimmy Laporal-Trésor sur le court métrage Soldat noir, qui avait été l’occasion de “tester” cette question de la reconstitution des années 80. Pour Les Rascals, Jimmy avait envie d’un film très costumé, donnant à voir différentes bandes, différentes tribus, avec des looks très assumés, très différents, très marqués – avec tout ce que cela charriait de coiffures, de couleurs, de vêtements, etc. Des livres de photographie nous ont servis de point de départ, comme ceux de Gilles Élie Cohen (Vikings & Panthers) et de Yan Morvan (Gangs Story). Quand on regarde ces clichés, ou ceux de Philippe Chancel, ou encore les archives de l’INA sur les premiers Black Panthers en France, on voit à quel point les jeunes de l’époque étaient lookés – aujourd’hui, tout est beaucoup plus normé. Jimmy avait aussi comme références des films de bandes américains, comme Les Guerriers de la nuit de Walter Hill, ou Les Seigneurs de Philip Kaufman. Il avait cette formule, qui résume très bien le film à mes yeux : “Les Rascals, c’est quand le rêve américain rencontre le cauchemar français.” L’idée, c’était de partir de quelque chose de très coloré, de très stylisé, de très “costumé”, pour aller progressivement vers le drame, la nuit, la violence de la France des années 80. Le film devait finir plus froid, plus bleu qu’il n’avait commencé. »

Les années 80, mais pas que

« Nous nous sommes vite aperçus qu’on allait avoir un souci d’anachronisme dans les rues, car Paris a beaucoup changé depuis les années 80. Samuel Teisseire, le chef décorateur, a donc fait en sorte de placer dans le décor des éléments d’époque, des détails qui nous ramènent immédiatement dans les années 80 : des panneaux, du mobilier urbain, des poubelles, des cabines téléphoniques, des affiches, qu’on pouvait cadrer ici et là… Pour les intérieurs, comme nous l’a expliqué Samuel, qui avait composé un moodboard très précis, il suffit de regarder les photos d’époque pour se rendre compte que les gens, dans les années 80, ne vivaient pas entourés de mobilier des années 80 ! Ils avaient des meubles de famille, des meubles achetés dans les années 50, 60 et 70. Avoir conscience de ça permet d’éviter les clichés. »

Le Scope malgré les risques

« On a choisi de tourner en Scope (le Scope ou CinémaScope est un format de tournage et de projection en grande largeur et au ratio d’image de 2,35 :1 NDLR), ce qui implique plus de décors à l’image, plus d’angles de champ. C’est une décision qui est très payante sur les décors qu’on contrôle, et une prise de risques sur les décors qu’on ne contrôle pas. Mais c’est un risque que nous avons décidé de prendre, parce que le Scope allait dans le sens de la stylisation que Jimmy voulait donner au film. Il y a forcément des éléments anachroniques à certains moments, mais à peine visibles, car perdus à l’arrière-plan. On avait également un petit support VFX pour “nettoyer” certaines choses. »

 

Paris pluriel

« Le Paris des années 80 que nous avons reconstitué dans Les Rascals est pluriel : il vient de rues et de passages autour de Bastille, de quelques magasins qui sont restés à l’identique, mais on l’a aussi trouvé à Bagnolet, à Montreuil, dans la banlieue nord de Paris, dans des zones plus ou moins industrielles. Recréer un sentiment d’époque, c’est aussi aller contre les clichés. Pour les scènes en banlieue, Jimmy refusait ainsi de filmer une banlieue trop bétonnée, la “banlieue type” que tout le monde a en tête. »

L’influence de Tchao Pantin

« Jimmy avait fait un travail de recherches très poussé, avait compilé tout ce qu’il était possible de trouver du côté de l’INA, de YouTube, etc. De mon côté, j’ai entamé mes propres recherches, qui ne concernaient pas forcément les bandes de jeunes, mais le Paris des années 80. Armé de mon index des films sortis en France dans ces années-là, j’ai procédé méthodiquement et revu les films “parisiens” sortis en 82, 83, 84… J’ai été très frappé par Tchao Pantin : c’est un très grand film, qui n’a a priori pas grand-chose à voir avec Les Rascals, mais qui a été très inspirant. On y voit un Paris un peu crade, avec des poubelles partout… C’est un film très moderne et qui vieillit très bien. J’y ai vu le Paris qui m’intéresse le plus, celui auquel je crois le plus. L’éclairage au néon de Bruno Nuytten dans la station-service est magnifique. Après avoir vu ce film, j’ai expliqué à l’équipe qu’il fallait qu’on se débrouille pour ne pas avoir de nuits orange dans Les Rascals. Toutes les nuits urbaines de Tchao Pantin sont éclairées au mercure : les lampadaires sont éteints et c’est Bruno Nuytten qui éclaire. Dans Les Rascals, j’ai parfois dû composer avec des éclairages sodium orange, mais on a pu en éteindre certains, ne garder que le strict minimum et ré-éclairer le film. Ça, ça nous vient directement de Tchao Pantin. »

Styliser… mais pas trop

« En termes d’image, de look du film, on ne cherchait pas à donner l’impression d’un film tourné à l’époque, on ne voulait pas que les gens confondent Les Rascals avec un film des années 80. Sachant qu’en plus, les années 80, ce n’est pas univoque, il y a plein de visions, de “sensations” différentes de cette période ! On a essayé de garder quelque chose d’assez moderne tout en travaillant la texture de l’image. Ma seule crainte, au fond, était de trop styliser : je ne voulais pas que la forme du film nous fasse perdre la part de réel. La photo du film devait être soignée, mais il fallait aussi qu’elle ait quelque chose de fragile. C’est pour ça qu’on a choisi une texture d’image un peu granuleuse, avec des défauts. Il fallait que ce soit beau… mais pas trop non plus ! Il s’agissait d’être entre la stylisation et la fragilité. » 

Les Rascals

Réalisation : Jimmy Laporal-Trésor
Avec Jonathan Feltre, Angelina Woreth, Missoum Slimani…
Scénario : Jimmy Laporal-Trésor, Sébastien Birchler et Virak Thun
Photographie : Romain Carcanade
Montage : Riwanon Lebeller
Musique : Delgres
Production déléguée : Manuel Chiche, Violaine Barbaroux, Nicolas Blanc, Sarah Egry
Une coproduction Spade/Agat Films
Distribution : The Jokers Films
Sortie : 11 janvier 2023

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