Thierry Frémaux : « On peut considérer le long métrage de Charles Vanel comme le dernier film muet français... »

Thierry Frémaux : « On peut considérer le long métrage de Charles Vanel comme le dernier film muet français... »

18 octobre 2022
Cinéma
« Dans la nuit » de Charles Vanel.
« Dans la nuit » de Charles Vanel. Collection Institut Lumière

En 1930, en pleine révolution du cinéma parlant, Charles Vanel sort Dans la nuit, un film muet qui restera sa première et unique réalisation. Restauré en 4K par l’Institut Lumière, ce mélodrame ouvrier réapparaît dans toute sa puissance expressive. Entretien avec Thierry Frémaux.


Le Festival Lumière de Lyon présente Dans la nuit, le seul et unique film réalisé par Charles Vanel. Ce film muet a tout d’un inédit. Que s’est-il passé ?

Charles Vanel a terminé le tournage de son film durant l’hiver 1930. Il sort en salles, quelques mois plus tard, le 31 mai. Or, le cinéma parlant vient d’envahir les écrans français, Dans la nuit apparaît anachronique et disparaît très vite de l’affiche. Vanel va dès lors se consacrer pleinement à sa carrière d’acteur et va même finir par oublier son film. Une façon peut-être d’effacer de sa mémoire cette expérience douloureuse. Le timing a été, en effet, malheureux. C’est d’autant plus injuste que le film est merveilleux. On peut ainsi considérer Dans la nuit comme le dernier film muet français. Le long métrage a été tourné dans la région lyonnaise, à Jujurieux dans l’Ain. J’aime l’idée que l’histoire du muet français commence ici à Lyon avec les frères Lumière et se termine pas très loin d’ici avec le film de Charles Vanel.

Comment est-il ressorti des limbes ?

Tout redémarre dans les années 1980 à l’Institut Lumière. À cette époque, je suis encore un jeune bénévole cinéphile au sein de l’institution. Le premier directeur, Bernard Chardère rencontre, via l’écrivain Charles Juliet, Charles Vanel et lui reparle de son film. Vanel lègue alors les droits de Dans la nuit à l’Institut Lumière. Grâce à une copie appartenant à la Cinémathèque française, des projections du film sont organisées ponctuellement. De son côté, Jacques Poitrat, alors chargé de mission pour le cinéma muet auprès d’Arte, le diffuse à la télévision. Dans la nuit bénéficie d’une deuxième vie. Au tout début des années 2000, Bertrand Tavernier, président de l’Institut Lumière et moi, en qualité de directeur artistique, demandons au musicien Louis Sclavis d’écrire une partition pour accompagner le film. Il restait toutefois un travail de restauration à faire. La copie qui circulait était un positif. Il nous fallait mettre la main sur le négatif. La Cinémathèque française va nous le fournir. La copie, de plutôt bonne qualité, était dans leurs archives. C’est ainsi que, grâce à l’aide CNC et son plan de sauvegarde des films anciens, nous avons pu entreprendre cette magnifique restauration digitale 4K et 35 mm. Un travail qui a été réalisé sous la supervision de Florence Bolin aux laboratoires Eclair Classics.

J’aime l’idée que l’histoire du muet français commence ici à Lyon avec les frères Lumière et se termine pas très loin avec le film de Charles Vanel.
Dans la nuit Collection Institut Lumière

Parlons du film en tant que tel, en quoi est-il si intéressant ?

C’est assurément l’un des grands films oubliés du cinéma muet français ! Charles Vanel n’a pas eu beaucoup de moyens pour le tourner. Les prises de vue ont été principalement réalisées en décors naturels et en extérieur, donnant à l’ensemble un aspect très naturaliste. Les mines de Jujurieux deviennent ici le théâtre romanesque de cette histoire d’amour. Vanel dont le propre père a travaillé dans ces mines, place devant sa caméra des gens du pays. Dans la nuit raconte le destin tragique d’un ouvrier défiguré après une explosion et qui voit sa femme s’éloigner. Nous sommes à la fois chez Jean Giono, pour la dimension paysanne et Émile Zola avec cette auscultation du milieu ouvrier. Formellement, la mise en scène se place entre le grand cinéma symboliste des années 1920 et la modernité incarnée bientôt par Jean Vigo. Le dynamisme des mouvements de caméra et du montage est impressionnant. Outre le naturalisme que j’évoquais, il y a également une dimension clairement fantastique avec cette idée magnifique du masque que porte le personnage de Charles Vanel pour cacher ses blessures.

Dans la nuit est assurément l’un des grands films oubliés du cinéma muet français !

Charles Vanel cinéaste n’aura donc réalisé qu’un seul long métrage ?

L’unique film de Charles Laughton s’appelle La Nuit du chasseur, celui de Charles Vanel, Dans la nuit. Les deux titres semblent déjà porter en eux leur destin fatal. Je pense que Charles Vanel a d’abord été séduit par le sujet, c’est ce qui l’a décidé à se lancer. Le sort de son film a dû le marquer, au point de ne plus vouloir réessayer. 

Quelle va être la vie du film après sa présentation au Festival Lumière ?

Dans la nuit a déjà connu une tournée internationale. Il est passé par les festivals de San Francisco, Bologne, San Sebastian, Budapest... Bientôt, Morelia au Mexique, Stockholm, Milan, Bruxelles... Le film n’ayant pas de musique officielle, nous avons demandé à chaque festival de créer son propre accompagnement. Il existe ainsi des partitions au piano, à l’accordéon... Lors de sa projection cet été, à Bologne, c’est un groupe de rock fusion qui s’est chargé de le mettre en musique. Au Festival Lumière, le ciné-concert a lieu à l’auditorium de la ville, accompagné à l’orgue par Adam Bernadac.

DANS LA NUIT

Réalisation : Charles Vanel
Scénario : Charles Vanel
Avec Charles Vanel et Sandra Milovanoff
Production : Fernand Weill Films
Sortie le 16 mai 1930
Dans la nuit de Charles Vanel a été restauré avec le soutien du CNC dans le cadre de l’aide sélective à la numérisation et des œuvres cinématographiques du patrimoine