Michele Ziegler, vous avez pris la relève de Michael Swierczynski à la tête du NewImages Festival cette année. Quelles mesures avez-vous mises en place à votre arrivée ?
Michele Ziegler : La transition a été rapide. Une partie de la programmation était déjà faite à mon arrivée. Après le départ de Michaël, nous avons choisi de lancer des résidences à la manière de ce qui avait été fait sous sa présidence avec la Villa Médicis en permettant à des Français de travailler sur des coproductions avec l’Italie et élargir ainsi leur réseau. Le mois dernier, nous avons donc mis en place la résidence UDLA immersive (Universidad De Las Americas) à Quito. Elle permet à un artiste français de voyager en Équateur pour travailler sur son projet. À la différence de l’équipe précédente, nous acceptons désormais des projets encore au stade du prototype. Nous souhaitons en effet accompagner les œuvres dès leur conception et sur le long terme. Nous avons aussi envie de soutenir la formation des professionnels de la XR. Aujourd’hui, il n’en existe pas au sens strict.
Le XR Development Market est un rendez-vous pour les professionnels du secteur à la manière des grands festivals de cinéma. Quelles sont les différences avec un marché du film traditionnel ?
Elie Levasseur : Les marchés du film comptent des business models déjà installés, ce qui donne une forme de sécurité aux producteurs. Ils connaissent les circuits de financement et adaptent donc leurs œuvres en termes de format dès la phase de développement. Ce business model n’existe pas dans le marché de la XR. Les producteurs développent donc leurs projets sans aucune visibilité sur les réseaux de distribution. C’est la grande difficulté. Pour cette raison, nous avons souhaité mettre en place, cette année, un marché de la distribution spécifique à la réalité étendue. Il nous semble primordial de créer la connexion entre les artistes, les producteurs et les distributeurs dès le développement des œuvres. Il faut les « marketer » afin qu’elles puissent trouver leur audience.
Quelles pistes de distribution semblent les plus prometteuses pour les œuvres immersives ?
E.L : À court terme, on observe l’existence de deux marchés importants : le marché « at home », dans lequel les gens équipés de casque VR (Virtual Reality) peuvent consommer chez eux les expériences, et le marché « location based », qui concerne les œuvres distribuées en physique dans des lieux de culture. La partie « at home » est forcément dépendante du taux de pénétration des casques dans les foyers et, même si le casque VR Quest est l’équipement le plus démocratisé, cela reste encore une goutte d’eau dans un océan. De plus, ce matériel est majoritairement utilisé par les joueurs. Très peu de personnes font le passage entre les jeux vidéo et ce qu’on promeut, qui est davantage de l’ordre de l’artistique. La piste du « location based » nous semble plus rapidement activable avec différentes typologies de lieux, des musées aux médiathèques. Nous avons développé un réseau très riche en Europe. De nombreuses infrastructures ont la capacité d’accueillir ces événements. Nous avons aussi un public qui ne craint pas de payer un peu plus cher pour une expérience VR. Donner l’appétence et les outils nécessaires aux curateurs de musées pour « accéder » aux œuvres, c’est-à-dire les découvrir et en assurer la distribution est un travail passionnant à mettre en place. Ils en sont demandeurs. S’ils ont l’habitude d’assurer la curation sur des contenus numériques, la promotion des œuvres numériques est une nouveauté pour eux.
Vous avez développé un métavers commun avec Cannes XR nommé Alexandria, un espace d’exposition virtuel accessible en ligne partout dans le monde. La distribution des œuvres passe-t-elle aussi par les espaces digitaux ?
M.Z : Alexandria est notre métavers, notre plateforme virtuelle d’exposition. Elle a vocation à ouvrir à plusieurs reprises dans l’année afin de montrer les œuvres partout dans le monde. Ce genre de plateforme doit permettre de faire plus facilement le lien avec des communautés déjà équipées. Cependant, elles ne remplaceront pas le « location based ». Nous réfléchissons aussi à organiser des rencontres spécifiques sur Alexandria.
E.L : Ces rencontres peuvent être notamment intéressantes pour la petite communauté des artistes XR. Dans les années à venir, la création d’un événement décentralisé pour ceux n’ayant pas les moyens de se déplacer à Paris serait aussi envisageable.
M.Z : Nous travaillons également avec des institutions, à l’image de l’Institut français, présentes dans des pays touchés par les fortes restrictions liées au Covid-19 – comme l’Iran par exemple – afin de leur donner accès à distance aux contenus culturels.
Comment envisagez-vous la pérennité de ces œuvres dans un secteur en évolution permanente ? Peut-on envisager un modèle semblable à celui des cinémathèques pour les films de patrimoine ?
E.L : Le parallèle avec l’industrie cinématographique est intéressant. Les films muets en noir et blanc ne se dévalorisent pas artistiquement. Alors effectivement, la technologie va s’améliorer, mais cela n’affecte en rien la qualité du projet. L’œuvre qui m’a donné envie de travailler dans la VR, Notes on Blindness (2016), n’est pas forcément la plus aboutie techniquement mais elle demeure une référence. À l’image de certains films incontournables dans l’histoire du cinéma, le public va continuer à regarder des œuvres VR en ligne ou pendant les festivals. Lors des débuts du cinéma, à la fin du XIXe siècle, il n’existait pas de salles permettant de voir les films, ni d’entreprises dédiées à leur distribution. J’en suis persuadé : il y aura des lieux entièrement consacrés à la diffusion de la XR dans quelques années.
La Compétition officielle se démarque par la grande diversité des œuvres entre reconstitutions historiques et expérimentations sur l’Intelligence Artificielle. Comment s’y prend-on pour départager des productions aussi variées ?
M.Z : Cette année, la compétition compte davantage de projets sonores ou hybrides. Nous avons dû revoir notre copie sur la manière d’organiser les prix. Les catégories VR (réalité virtuelle) et AR (réalité augmentée), entre autres, ne semblent plus pertinentes. Nous sommes encore dans une phase d’expérimentation, mais nous souhaitons mettre en place des récompenses axées sur les différentes formes de narration. Faut-il davantage structurer ? Ou finalement cela importe-t-il peu qu’il s’agisse d’une expérience interactive ou d’un projet de l’ordre du documentaire ? Le jury en décidera. Une chose est certaine : nous avons envie d’instaurer des workshops et d’accompagner les projets en amont du festival. Grâce à ces ateliers, les jeunes talents pourront apprendre à « pitcher » un projet XR et comprendre le type de narration à privilégier.
La fusion entre le cinéma et la XR dans les années à venir, jusqu’aux sélections officielles des grands festivals cinématographiques, est-elle inexorable ?
E.L : Les festivals de cinéma donnent déjà une place à l’art immersif. En revanche, je ne pense pas que la XR soit l’avenir du cinéma.
À une époque, beaucoup pensaient que l’arrivée de la photographie allait marquer la fin de l’art pictural en permettant une meilleure reproduction du réel. Finalement, elle a permis aux artistes de s’en affranchir et de développer un nouveau courant, celui de l’impressionnisme. Un mouvement semblable peut s’opérer avec la XR. Des passerelles se mettront sans aucun doute en place entre ces deux mondes même si la réalité étendue n’est pas du cinéma augmenté. Il s’agit d’un nouvel art qui va trouver son propre chemin et son propre public.