Kim Chapiron, de « Sheitan » au « Jeune Imam »

Kim Chapiron, de « Sheitan » au « Jeune Imam »

26 avril 2023
Cinéma
Kim Chapiron sur le tournage du  « Jeune Imam » . À droite, Ladj Ly avec qui il a coécrit le film, et Sylvestre Dedise, à gauche, directeur de la photographie.
Kim Chapiron sur le tournage du « Jeune Imam » . À droite, Ladj Ly avec qui il a coécrit le film, et Sylvestre Dedise, à gauche, directeur de la photographie.

Alors que sort en salles son quatrième long métrage, l’histoire d’un ado à la dérive devenu dix ans plus tard l’imam de sa cité, focus sur le parcours du cinéaste, cocréateur du collectif Kourtrajmé, qui a fait du septième art une aventure tout sauf solitaire.


Un amoureux du cinéma

Âgé de 42 ans, Kim Chapiron, fils du graphiste Christian Chapiron, alias Kiki Picasso (qui fut le coscénariste de son premier long métrage Sheitan) a déjà derrière lui trois courts métrages, une demi-douzaine de clips vidéo, une série (Guyane en 2017), une nomination au César de la meilleure musique (en 2020 pour Les Misérables de Ladj Ly) et quatre longs métrages (Sheitan en 2005, Dog Pound en 2009, La Crème de la crème en 2014 et Le Jeune Imam en salles ce mercredi 26 avril), sans compter une vingtaine de courts métrages comme acteur. Sa passion pour le cinéma est née très jeune, alors qu’il n’était qu’un simple spectateur. « Mes premiers chocs ont été américains, les chefs-d’œuvre des années 70 comme L’Épouvantail, Les Chiens de paille, Un après-midi de chien, Macadam Cowboy, Taxi Driver… Un cinéma très inventif. Un cinéma à l’énergie. Un cinéma qui se permet tout parce qu’il n’a pas les moyens. » Avant de se découvrir au fil des années une passion pour Maurice Pialat, Ingmar Bergman, Asghar Farhadi, Yasujir? Ozu ou encore Hirokazu Kore-eda. « J’aime être en accord avec le cinéma que je regarde », explique-t-il, citant ces cinéastes comme inspirations pour Le Jeune Imam. Dans ce nouveau long, il met en scène un ado à la dérive que sa mère d’origine africaine – qui l’élève seule – envoie au Mali pour finir son éducation. À son retour dix ans plus tard, il devient l’imam de sa cité. « En grand fan de Farhadi, d’Ozu et de Kore-eda, j’aime raconter le drame des gens ordinaires. Avec les petits riens de la vie de tous les jours, on peut générer de la dramaturgie spectaculaire. Ces petites choses, si on maîtrise l’art du hors-champ, peuvent devenir des scènes qui nous broient. Ça faisait longtemps que je voulais m’essayer à ce style et créer ce type d’émotion dramatique. »

Le Jeune Imam Lyly Films - Srab Films

Un homme de bande

Le cinéma, Kim Chapiron ne l’a jamais envisagé de manière solitaire. « Depuis mes débuts, j’ai toujours travaillé en bande. » Cette bande, c’est Kourtrajmé, créé en 1995 avec Romain Gavras, Vincent Cassel, Toumani Sangaré et Nguyên Le. Un collectif qui n’a cessé de se développer en trente ans et regroupe aujourd’hui une centaine de membres dans tous les domaines, ainsi que des écoles de cinéma, à l’initiative de Ladj Ly. « La bande est mon mode de fonctionnement et ça n’est pas près de s’arrêter. Notre chance à tous est que notre amitié est plus importante que nos relations professionnelles. On se côtoie davantage dans la vie que sur les plateaux de cinéma. Mais partir sur un projet avec l’autre est naturel chez moi. » Comme avec Ladj Ly qui a coécrit Le Jeune Imam. « Nous avons grandi dans les années 80 et 90 où ce sujet de la religion musulmane qui crée des tensions aujourd’hui n’en était pas un. On s’est donc appuyés sur le fruit de nos observations. On a souhaité partager avec les spectateurs ce rapport très doux à la religion. Aborder ce sujet sans polémique. Je sais qu’en faisant cela, je me situe quelque part à contre-courant de notre époque. Mais je pars du principe que l’homme est bon. Que le spectateur va me comprendre, que les gens essaient toujours de voir le bon côté des choses. En tant que non-musulman, j’ai eu la chance de vivre cet islam de l’immense majorité silencieuse des pratiquants. C’est cette expérience qu’on a voulu partager ici avec Ladj, tout en y ajoutant de l’ambiguïté, des paradoxes chez nos personnages… »

 

Un cinéaste aux intérêts multiples

Kim Chapiron a quatre longs métrages à son actif. Quatre films aux antipodes les uns des autres. Un film de genre (Sheitan) ; le quotidien d’un établissement pénitentiaire pour mineurs américains (Dogpound) ; une plongée dans l’univers des grandes écoles de commerce (La Crème de la crème) ; le portrait d’une mère et d’un fils maliens installés en banlieue parisienne (Le Jeune Imam). Le cinéaste revendique cet éclectisme sans pour autant chercher à le provoquer à tout prix. « Tous mes films sont arrivés de manière extrêmement naturelle. Il n’y a jamais eu aucune prévision chez moi. De toute façon, même dans la vie de tous les jours, je n’ai jamais réussi à me projeter plus loin que deux jours, explique-t-il en riant. La vie et ce métier m’ont simplement offert des opportunités extraordinaires, des rencontres, qui m’ont permis de me retrouver dans des endroits où je n’aurais pas dû être. Au fin fond de l’Amazonie avec des mygales et des chercheurs d’or pour la série Guyane. Dans les couloirs de HEC avec Laurent Maruani, le grand professeur de marketing de la plus grande école de commerce d’Europe pour La Crème de la crème. Dans des écoles coraniques de villages au fin fond du Mali ou aux côtés de Tareq Oubrou, le grand imam de Bordeaux qui est venu à la projection du Jeune Imam. » Aucun plan de carrière donc mais une curiosité tous azimuts.

Un découvreur de talents

Kim Chapiron aime cette phrase de Jacques Audiard : « Faire un film, c’est révéler un visage. » Il s’est employé à la mettre en œuvre depuis ses débuts derrière la caméra. Parfois le temps d’une pub pour la SCNF (2017) comme avec Camille Lou – alors vierge de toute expérience cinématographique – qui donnait la réplique à un certain… Kevin Costner. Mais bien évidemment surtout dans ses longs métrages. C’est dans Sheitan que Leïla Bekhti a fait ses premiers pas, dans La Crème de la crème qu’Alice Isaaz a décroché son premier grand rôle, dans Le Jeune Imam qu’Abdulah Sissoko et Anta Diaw (la future héroïne du deuxième long métrage de Ladj Ly, Les Indésirables, en salles le 22 novembre 2023) ont été projetés sous les feux des projecteurs. « Comme spectateur, quand je vois un acteur que je connais incarner un personnage, je vais inconsciemment voir défiler dans ma tête tous les rôles qu’il a joués et dans lequel je l’ai aimé avant, souligne le réalisateur. Cela peut créer une distance que je fais tout pour éviter lorsqu’un rôle nécessite que le public le prenne en plein cœur. Un visage inconnu va me permettre de faire mieux vivre les expériences que j’ambitionne de créer. Ça facilite mon métier de cinéaste. » Avec un sens du casting qui ne s’est pas abîmé au fil du temps.

LE JEUNE IMAM

Réalisation : Kim Chapiron
Scénario : Kim Chapiron et Ladj Ly
Photographie : Sylvestre Dedise
Montage : Flora Volpelière
Musique : Pink Noise et Magou Samb
Production : SRAB Films, Lyly Films
Distribution : Le Pacte
Ventes internationales : Goodfellas
En salles le 26 avril 2023

Soutien du CNC : Avance sur recettes avant réalisation, Aide à l'édition vidéo (aide au programme 2022), Aide à la création de musiques originales