Comment est né De Chaque instant ?
Depuis un moment j’avais envie de filmer l’hôpital, ou plutôt d’observer le personnel soignant. Je tournais autour du sujet, mais je ne savais pas comment faire, je n’avais pas l’idée... Et puis j’ai eu un pépin de santé qui m’a conduit aux urgences et en soins intensifs. Ça a été le déclic. Une fois sorti d’affaire, c’était évident : je devais parler d’eux et particulièrement des infirmières et des infirmiers. Comme pour les remercier...
De chaque instant parle de l’apprentissage, de la transmission par le langage, mais aussi de l’institution hospitalière et de la relation aux patients, aux autres... Au fond, quel était votre sujet de départ ?
Je ne sais jamais quel est le sujet de mes films. Evidemment, je vois bien dans ce film des thèmes qui parcourent ma filmographie et que vous venez d’évoquer très justement – comme l’apprentissage, la parole ou la différence. Mais je ne pars jamais avec des idées préconçues. Quand je me lance dans un tournage, il ne s’agit jamais pour moi de traiter un sujet. Je ne veux surtout pas imposer quoi que ce soit au spectateur. Je n’ai rien à lui enseigner sur une réalité. Il s’agit d’aller à la rencontre de ce que je ne connais pas. Dans le cas de De chaque instant, c’est ma curiosité qui m’a poussé à filmer. Ma relation au documentaire part toujours de mon ignorance et d'une envie de découvrir. Quand on devient didactique, on perd forcément le cinéma en route.
Pourtant, sans être didactique, à deux ou trois reprises, on comprend que l’hôpital, ou disons la santé publique, est menacé. Vous diriez que De chaque instant est un film politique ?
J’ai toujours eu un rapport bizarre avec ce terme. Je préfère m’intéresser aux questions qui agitent souterrainement notre cité plutôt que d’illustrer des idées « politiques ». Ceci dit, je ne pouvais pas faire l’impasse sur ce sujet. Les difficultés que connait notre système de santé et les pressions qui pèsent sur le personnel n’est pas mis en avant, mais c’est effectivement présent, en arrière-plan. Montrer les craintes des infirmiers et des infirmières, écouter la parole déterminée ou inquiète des enseignants, c’est pour moi politique. Tout comme le fait de montrer une démarche de soins digne de ce nom.
Vous saviez dès le début que votre film serait construit en trois mouvements distincts ?
J’aime bien que vous disiez « mouvement » parce que c’est comme ça que je l’ai construit, d’une manière musicale, organique et quasiment mélodique. Au début, j’avais prévu de faire des allers-retours entre les cours, les stages, les débriefs... mais j’ai vite compris que ce serait trop compliqué à suivre. Un peu fastidieux. Alors j’ai eu l’idée de cette organisation qui me permet de jouer sur le crescendo des émotions... Finalement, comme mes autres films, De Chaque instant est très narratif, et, presque construit comme une fiction.
Et les vers de Bonnefoy placés en tête de chaque partie, vous les avez choisis comment ?
C’est la strophe d’un poème sur lequel je suis tombé pendant le tournage et j’ai eu l’impression qu’il résonnait très fort avec le cinéma que je fais, la pensée que j’en ai. Il y a cette idée que les choses nous échappent, sont éphémères et qu’il faut à tout prix les retenir... Je n’ai pas envie de faire une explication de texte parce que j’aimerais que chacun s’empare de ces vers comme il l’entend. Tout comme mes films au fond...
De chaque instant sort le 29 août 2018 dans les salles obscures. Le film a bénéficié de l’aide sélective à la distribution du CNC.